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Voici une sélection d’articles rédigés durant mon année au CELSA

A Saint Denis, front uni contre la réforme des retraites- 19/01/2023

Crédit: Sophie Alary

L’image était forte: le 10 janvier dernier, peu après que la Première ministre Elisabeth Borne ait présenté à la presse le projet de réformes des retraites, les dirigeants des huit principales organisations syndicales se réunissaient pour lancer la mobilisation interprofessionnelle contre la réforme, ce jeudi 19 janvier. Les organisations de la jeunesse se sont vite ralliées au mouvement et, dans un communiqué commun, les syndicats disent espérer que cette première journée de grève et de mobilisation « donne le départ d’une puissante mobilisation sur les retraites dans la durée ».

L’état des troupes

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Crédit: @AGinterpro

A la Bourse du travail de Saint Denis, une Assemblée Générale interprofessionnelle lance le démarrage de la journée de mobilisation. En ce début de matinée ensoleillé, une centaine de personnes viennent d’arriver, en majorité des jeunes et des femmes, il y a même quelques enfants, journée de grève oblige. Certains brandissent un drapeau ou une banderole, et un bus attend sur la place d’acheminer les militants vers Paris pour la manifestation qui part place de la République en début d’après-midi.

Deux jeunes femmes animent la rencontre et donnent les dernières recommandations pour l’après-midi avant de demander aux différentes secteurs professionnels de présenter un état des lieux. Se succèdent des employés de la RATP, de la SNCF, de la municipalité et puis aussi des enseignants et des étudiants, en nombre dans la salle.

Pour les enseignants: maintenir les régimes spéciaux et mettre fin à la précarisation du statut

Emilie, enseignante à Pierrefitte: « chez nous, on sent pas mal de détermination; on est pour une grève reconductible, pas question d’une journée « saute-moutons »« . Une collègue de Saint Denis la relaie, précisant que, sur la ville, 24 écoles sur 71 sont fermées mais que, dans les autres, les trois quart des enseignants sont en grève « quand une école ferme, c’est toute une partie de la société qui ferme, c’est une bonne nouvelle« . Elle lit un courrier: « nous les enseignants appelons au maintien des régimes spéciaux et puis nous disons stop aussi à la liquidation des services publics« .

Kylian, étudiant à Paris VIII, se réjouit qu’étudiants et enseignants veuillent monter un mouvement sur la faculté. Vincent, professeur à l’université de Créteil, va dans son sens « on commence à se mobiliser avec les étudiants, qui sont de futurs enseignants d’ailleurs, parce que les dernières réformes de l’éducation ont déjà cassé le statut enseignant et que la précarité gagne du terrain« .

RATP et SNCF: « le privé doit se mobiliser aussi, nous ne sommes pas les seuls moteurs! »

Alexis, chef de réseau à la RATP, adopte un ton convaincant. « A la RATP, on est en lutte sur différents sujets déjà, ça fait 18 mois qu’on multiplie les grèves, on a réussi à gagner en salaire, la grève ça peut payer! ». Il rappelle que la dernière grande grève interprofessionnelle en 2019 a permis de faire reculer le gouvernement sur la retraite à points. Son collègue Sofiane, machiniste au dépôt RATP de Saint Denis Pleyel, est moins optimiste: « ça n’est pas en une journée qu’on va faire reculer ce gouvernement de banquiers! Aujourd’hui, il est au chaud en Espagne et se fiche de nous. Il va falloir qu’on passe par des grèves dures, plus on sera rapide, plus on les prendra de court« . Il déplore l’absence de représentants du secteur privé, pourtant eux aussi concernés.

Florian, salarié à la SNCF, approuve. « Beaucoup de collègues disent qu’ils ne veulent plus être la locomotive du mouvement, on suivra mais il faut que d’autres secteurs prennent la tête!« . Il signale 80% de grévistes chez les conducteurs et se réjouit que la mobilisation interprofessionnelle ait été aussi rapide, contrairement à 2019 où les dirigeants syndicaux avaient trainé à se mettre d’accord. Il avertit l’assemblée « attention on s’est fait rétamer sur les grèves perlées, on doit dès à présent partir sur des grèves reconductibles et bloquer tout le pays« .

Comment préparer la suite?

La discussion s’oriente ensuite sur les prochaines étapes de la mobilisation: « comment va t’on pouvoir construire un mouvement plus massif;  plus de 60% des français sont contre la réforme, comment on les fait venir? » interroge Claire de Solidaires? A côté d’elle, Laure, de l’UNSA, qui coanime l’Assemblée, rappelle que le gouvernement aurait récemment acquis dix millions de bombes lacrymogènes « en face va falloir qu’on soit nombreux et qu’on innove« . La salle devient plus silencieuse, les doigts se lèvent plus timidement…

« Nation- République ça ne sert plus à rien, il faut aller manifester chez les riches »

Geoffrey, professeur, fait savoir que la caisse de grèves qui avait été levée en 2019 a bien marché et a permis à certains travailleurs pauvres d’avoir un peu d’argent pour pouvoir faire grève plus sereinement. Un petit groupe a commencé à travailler sur des tracts pour les prochaines journées de mobilisation et propose de multiplier les lieux de distribution. Pour Téo, retraitée et militante CGT, il faut aussi organiser des manifestations localement, aller au devant des gens et leur parler. « En 1995, je sais bien que ça date mais c’est important, on n’arrêtait pas d’aller d’un endroit à l’autre avant les manifestations nationales, ça nous permettait de partir à quelques milliers sur Paris » . Elle insiste sur la nécessité de ne pas oublier les femmes, plus fragilisées par cette réforme.

Une participante pense elle qu’on doit cibler les évènements festifs, durant lesquels les gens sont plus détendus et ouverts à l’écoute. Pour Georges, « il faut aller manifester chez les riches, dans l’ouest parisien; Nation- République ça ne sert à rien, les gilets jaunes l’avaient compris« .

Pour Mehdi  salarié dans le secteur associatif à St Denis, il faut en tous cas afficher un plan de bataille plus offensif « on est encore dans le flou pour pouvoir communiquer efficacement sur les prochaines journées des 26 et 27 janvier« . Il insiste sur l’impératif d’élargir le discours: « on ne peut pas passer à côté de la nécessité de revaloriser les salaires et les minimas sociaux si on veut mobiliser plus largement« .

Joséphine, représentante CGT, conclue la discussion. Elle rappelle que son syndicat est prêt à participer à la « bataille des idées » et que, contrairement aux précédentes mobilisations, il y a moins de pédagogie à faire « tout le monde a compris qu’on va prendre deux ans de plus, que la réforme va servir à faire baisser les pensions parce que les gens partiront avant d’être à taux plein et que le chômage va encore gonfler« . Elle propose aux syndicats d’être plus présents dans les zones où se concentrent les entreprises du secteur privé, notamment à la Plaine Saint Denis, cette « mini Défense ».

>> Pour en savoir plus: « les syndicats en pleine transition, quel rôle peuvent-ils jouer dans l’avenir du travail« .

Il est midi, l’AG se termine, certains espèrent attraper le RER « à 12h40 », d’autres partent en vélo en ou covoiturage. Départ en petits groupes, tous sont déterminés à ne pas à rester là.


La tombola des « crèves la dalle »: quand le CROUS de Strasbourg surfe sur la précarité étudiante- Décembre 2022

To eat or not to eat? Alors que plus d’un étudiant sur deux saute un repas, que des épiceries solidaires s’ouvrent dans les facs, que les réseaux sociaux regorgent de conseils pour manger bien pour trois fois rien, le concours lancé par le CROUS de Strasbourg, le 19 septembre, a tourné court…

Les règles du jeu disaient : « les étudiants de l’Université de Strasbourg peuvent tenter de gagner jusqu’à deux mois deux Resto U en s’abonnant au compte Instagram du CROUS et à celui du service d’insertion professionnelle de l’Université », avec qui était organisé le loto virtuel. Il fallait aussi « liker » les deux publications et associer deux comptes amis.

Des centaines d’étudiants se sont lancés dans la compétition : on peut penser que 100% des précaires auront tenté leur chance… Mais certains réagissent et dénoncent l’indécence de l’initiative alors que les associations se battent pour généraliser le repas à 1 euro pour tou.te.s. Les politiques s’en mêlent, dénonçant le cynisme d’un gouvernement qui joue avec la précarité étudiante.

Face aux réactions, le CROUS a changé de braquet dès le lendemain et annulé le concours. « L’unique but du jeu était de diffuser via les deux comptes de nombreuses informations relatives et aux aides auxquels les étudiants peuvent avoir droit» précise le CROUS, qui ajoute « nous n’avons jamais voulu instrumentaliser la précarité étudiante ». Ce sera quoi la prochaine fois ? Un grand tirage au sort pour récupérer des restes de repas sous prétexte d’être écolo et fan du zéro déchet ?


Nicole Maestracci, une effrontée parmi les sages- 13/05/2022

Elle aura porté jusqu’à la fin son sens de l’engagement. Nicole Maestracci est décédée le 7 avril 2022, à peine achevée sa mission au Conseil Constitutionnel.

Nicole Maestracci vient de s’éteindre à l’âge de 71 ans. Elle sera arrivée au terme de son mandat au sein du Conseil Constitutionnel, sans jamais cesser de lutter contre un cancer « récidiviste ». « Cela lui correspondait bien » indique un de ses proches collaborateurs, Patrick Chanson, « la magistrate qu’elle était ne lâchait jamais rien ».

Profondément attachée à comprendre le monde qui l’entourait, Nicole Maestracci a alterné tout au long de sa carrière sa fonction de juge avec des postes au sein de la haute administration: elle fut notamment conseillère technique de deux Gardes des Sceaux, Pierre Arpaillange et Henri Nallet.

Figure reconnue au sein du Syndicat national de la Magistrature ancré à gauche, elle a œuvré toute sa vie à faire bouger les lois et à en faciliter la compréhension « par un public non spécialiste, dans un contexte où l’état du droit applicable est devenu d’une complexité redoutable ».

Attachée à l’indépendance de la justice, Nicole Maestracci tenait à sa liberté de parole. Quand, en 1998, Lionel Jospin lui propose de diriger la Mission Interministérielle de Lutte contre la Drogue et la Toxicomanie (MILDT), elle déclare sans polémique : « il n’y a pas de société sans drogues, il n’y a pas non plus de solution miracle, en revanche il existe des réponses efficaces afin d’éviter les consommations dangereuses et de limiter les risques lorsqu’il y a usage ». Levant  les tabous, elle amorce ainsi le virage d’une politique de santé fondée sur la prévention et la réduction des risques.

« Le lobby des pauvres n’est guère puissant »

Femme de conviction, c’est parce que « le lobby des pauvres n’est guère puissant » que Nicole Maestracci accepte de présider, pendant 8 ans, la Fédération des Acteurs de la Solidarité. Après l’installation des tentes du Canal St Martin par les Enfants de Don Quichotte, elle dirige la Conférence de consensus sur les sans-abris, préfiguration de la politique du « Logement d’abord » expérimentée avec succès dans plusieurs pays anglo-saxons. Elle réitère en 2013, à la demande de Christiane Taubira, en pilotant la Conférence de consensus sur la prévention de la récidive. S’appuyant sur des données scientifiques, elle défend l’idée que la conditionnelle est le meilleur adversaire de la récidive.

La même année, François Hollande décèle en elle une personnalité capable de composer avec une institution qui peine à se réformer et la nomme au Conseil Constitutionnel.  Elle y porte la Question Prioritaire de Constitutionnalité, votée en 2008, qui permet aux citoyens de défendre leurs droits. Son combat de toujours.


Interview d’Eric Pliez, maire du 20ème arrondissement parisien- « Les partis traditionnels se sont coupés des partis populaires »- 29/04/2022

Des négociations sous tension ont démarré mercredi entre le PS et la France Insoumise. Eric Pliez, maire du 20ème arrondissement parisien et poche d’Anne Hidalgo, s’interroge sur la possibilité de sortir des clivages idéologiques.

Anne Hidalgo, avec 1,7% des suffrages, a réalisé le pire score de l’histoire du PS. Le Parti joue-t’il sa survie aux prochaines élections législatives ?

Pas sûr. A ce stade je vois deux scénarios possibles. Dans le premier, la sociale démocratie pro-européenne vit un accident de parcours et arrive à se redresser en faisant alliance ; c’est le pari d’Anne Hidalgo mais, dans ce cas, le PS devra se donner les moyens de ne pas se faire avaler par La France Insoumise. Dans le 2ème cas de figure, les crises environnementale, économique, sociétale que nous traversons nous amènent à souhaiter des mesures plus radicales, avec le risque du repli sur soi, et là, le PS et d’autres partis de gauche  explosent au profit de LREM ou de l’Union Populaire. Quoi qu’il en soit,  le PS doit se réinventer, trouver une voie nouvelle, s’engager sur des compromis.

Justement, il a annoncé ce matin qu’il souscrivait aux propositions de La France Insoumise en vue d’un accord pour les législatives, avant de suspendre les négociations : qu’en-pensez-vous ?

C’est sur l’Europe notamment que ça se joue. Alexis Tispras a t‘il sauvé la Grèce en s’alignant sur les directives européennes ou le pays aurait-il pu s’en sortir autrement ? Je ne sais pas, mais je crains le souverainisme. En tous cas, ces négociations vont devoir réussir à sortir des clivages actuels c’est une gageure. Ce qui se passe aujourd’hui, ça nous montre aussi que les partis traditionnels se sont coupé des corps populaires représentatifs. Le terreau militant est toujours vivant, mais le PS ne s’est pas donné les moyens d’aller chercher des profils atypiques, capables d’agir. Même dans les jeunes générations, on voit toujours parmi les candidats des « purs produits » de la machine. Par exemple, dans le 20ème arrondissement, Lamia El Aarajé, élue députée en 2021, qui a fait des études brillantes et qui incarne parfaitement la diversité au sein d’une certaine élite…

Avec 2,17% des suffrages à Paris, guère plus que son score national, Anne Hidalgo ne va-t-elle pas avoir un problème de légitimité pour la suite de son mandat ?

Elle a fait un mauvais score mais les autres partis n’ont pas fait mieux ; les Verts, les Communistes, les Républicains, tous vont devoir mesurer leurs propos. Je vois davantage se dessiner une continuité dans le « pacte de non-agression » déjà engagé. Il va y avoir les Jeux olympiques, un vaste programme de rénovation urbaine est lancé, ces enjeux sont partagés.

Vous avez été élu pour la première fois début 2020 sur la liste Paris en Commun, vous arriviez de la société civile, vous n’êtes pas encarté : qu’est-ce que vous retenez de votre démarrage en politique ?

Je ne pensais pas que la logique de groupe l’emporterait à ce point sur la logique collective. Je suis entouré d’adjoints coincés entre leur logique de parti et les délégations que je leur ai confiées, c’est compliqué de faire « projet commun ». Face à ça, je crois qu’il faut garder, quand on est élu, l’envie profonde d’écouter et d’analyser. Je viens du terrain, je pousse mes collaborateurs à se déplacer et à dialoguer. Ce qui s’exprime dans le suffrage actuel, c’est la volonté d’une démocratie plus participative. Les sujets sont portés par des corps intermédiaires cloisonnés, qui doivent pouvoir s’intégrer dans une dynamique plus large, plus ambitieuse que les seuls projets qu’ils portent.


Radio France: le succès de l’hyper radio- Avril 2022

Radio France connait sous la présidence de Mathieu Gallet (2014- 2018) des problèmes d’audience, une stratégie de diversification en pointillé (en toile de fond des mouvements sociaux répétés) et des difficultés financières importantes (un déficit de 21 millions d’euros en 2015). La condamnation de Mathieu Gallet en 2018 précipite sa fin de mandat.

Il a su pourtant redresser la situation de France Inter. En 2014, alors les chiffres de la station sont au plus bas, il se sépare de Philippe Val et nomme Laurence Bloch, son adjointe, à la tête de la radio. Elle recrute des animateurs vedettes, Nagui, Nicolas Demorand, Léa Salamé. A l’instar de Delphine Ernotte, la patronne de France Télévisions, elle déclare la guerre aux hommes blancs de plus de 50 ans, s’engage sur la parité à l’antenne et donne la place à une génération de quadragénaires, comme Canal + à sa grande époque. Elle veille à un certain équilibre entre la politique, l’économie et la culture, dans les émissions généralistes. Son arrivée est aussi marquée par la naissance d’émissions désormais emblématiques : L’instant M de Sonia Devillers, La terre au carré de Mathieu Vidard, Par Jupiter ! de Charline Vanhoenacker et Alex Vizorek. Les audiences repartent à la hausse.

En 2018, Sybille Veil est élue pour 5 ans par le CSA. Lors de la présentation de son projet stratégique, elle insiste sur quatre enjeux majeurs. En premier lieu, elle souhaite diversifier pour amener des fonds propres dans un contexte de restriction budgétaire de l’audiovisuel public et garantir l’ambition d’une politique de développement fondée sur la diversité et la qualité. Elle s’engage à maintenir les marqueurs forts de Radio France, les missions historiques d’information, de culture et de divertissement intelligent. Elle veut continuer à élargir le public et encourage enfin ses collaborateurs à continuer à expérimenter en visant une transformation structurelle durable.

L’audience ne cesse alors de grimper. Selon les résultats Médiamétrie fin 2021, Radio France compte 5,5 millions d’auditeurs quotidiens dont près de la moitié sur France Inter, qui renforce sa position de fleuron du groupe.

Dès 2017, Laurence Bloch a accéléré la diversification des formats de la station-phare. Dans un entretien accordé aux Echos en 2018, elle dit vouloir créer une « hyper-radio ». Vidéos sur le Web, cycles de conférences, beaux livres, spectacles. France Inter va mettre l’accent sur toutes ces activités pour déployer sa marque au-delà de son antenne et engranger plus de revenus.

Premier axe de cette diversification : le numérique, avec la création de produits spécifiquement conçus pour le Web. France Inter va ainsi développer des reportages à l’étranger racontés par les journalistes, ou encore des textes pour enfants lus par de grandes voix de la radio. Des plates formes de débats sont créées via les réseaux sociaux pour prolonger les émissions  avant que ne soit mise en place l’appli radio France, en accord avec Deezer.

Parallèlement, les cycles de conférences autour des émissions vont se multiplier. Les revenus générés par ces conférences sont réinvestis dans le numérique. La station continue également de produire des spectacles d’humour et des concerts, et veut faire grandir l’activité d’édition littéraire.

La stratégie de diversification s’est accélérée avec l’arrivée de Sybile Veil : investissements dans les enceintes connectées, croissance des requêtes vocales sur Google, communication audio sur les réseaux sociaux, nouvelles formes de diffusion du son 3D, meilleure maitrise de la distribution numérique

Dans le magazine Challenges, en 2021, la patronne de France Inter se félicite du rajeunissement de l’audience moyenne, de 56 à 54 ans depuis 2014, notamment grâce au Web qui draine un nouveau public, « alors que le média radio dans son ensemble a vieilli ».« Et on va continuer cet effort, sans perdre les plus de 50 ans pour autant. ».

Lors de la 5ème édition du Grand Prix Stratégies de l’innovation média, en mai 2021, Radio France remporte une pluie de médailles, en premier lieu France Inter : meilleure initiative éditoriale radio pour le public imaginaire, spectacle de Nora Hamzaoui ; meilleur podcast natif pour Olma, coproduit pat Mathieu Vidard ; meilleure enquête pour « Un an auprès des alcooliques anonymes » pour l’émission Interception.

En août prochain, Laurence Bloch laissera la place à la philosophe et normalienne Adèle Van Reeth, qui aura la difficile mission de maintenir les audiences au plus haut niveau (7 millions d’auditeurs).  Alors que le président Macron vient d’annoncer sa volonté de supprimer la redevance audiovisuelle dès 2023, la radio devra se garder des marges de manœuvre pour poursuivre les investissements consacrés au renouvellement des technologies et aux outils du numérique et continuer à faire évoluer ses services dans le sens des attentes du public.


Interview audio d’un gilet jaune- Avril 2022


De l’exil à l’asile, un parcours toujours plus long- 18/04/2022

A Paris, dans l’un des deux espaces de jour dédiés à l’accueil des demandeurs d’asile, les travailleurs sociaux s’inquiètent du rallongement des délais de traitement face à l’arrivée des réfugiés ukrainiens.

Quai d’Austerlitz, en cette matinée printanière, juste à côté de la prestigieuse Cité de la Mode, un vieux bâtiment tout gris abrite un des deux accueils de jours parisiens dédiés aux publics exilés à la rue. Une fois la lourde porte franchie, le grand patio chaleureux, qui donne sur la Seine, est déjà très animé. Passé le guichet d’accueil, où les exilés primo-arrivants viennent s’informer des démarches à suivre pour effectuer une demande d’asile, de grandes pièces en enfilade se succèdent ; douches et sanitaires, salles de repos, cafétéria, salles de formation- quelques afghans y prennent à cette heure des cours de français- et enfin les bureaux des travailleurs sociaux.

Des exilés attendent leur tour pour échanger avec Tiffany, l’intervenante juridique, qui coordonne aussi le lieu. Sorhab, récemment arrivé d’Afghanistan, veut lui montrer son CV. Derrière lui, un jeune Tibétain s’impatiente, il a rendez-vous à la Préfecture mais ne sait pas où c’est. Tiffany garde son calme et son sourire, elle reste attentive à chacun mais ne cache pas son épuisement. Le dispositif, prévu pour accueillir 150 personnes, en voit passer tous les jours plus de 400. Pour l’équipe sociale, la pression est forte et l’enjeu important : donner aux exilés toutes les informations utiles, les aider à comprendre le parcours qui les attend, mais aussi les orienter vers une structure d’hébergement où ils vont pouvoir se reposer, être accompagnés dans la durée. La plupart ont déjà passé de longs mois dans la rue.

Depuis un mois et demi, l’Etat a concentré ses efforts sur l’accueil des réfugiés ukrainiens et plus aucune place d’hébergement n’est disponible, alors qu’habituellement une trentaine de personnes peuvent espérer chaque semaine rejoindre un lieu de repos. Tiffany est un peu dépitée, elle souligne aussi la différence de traitement : la liberté de circuler en Europe, la gratuité des transports, l’accès aux ressources matérielles…Mais surtout, elle insiste sur le discours contradictoire des autorités qui affirment avoir simplifié l’accès à l’asile avec la réforme de 2018 alors qu’il ne cesse de se complexifier.

C’est évident dès le démarrage : en Ile de France, les demandeurs d’asile passent par une plateforme téléphonique dédiée pour obtenir un rendez-vous auprès d’une Structure de Premier Accueil (SPADA). Souvent saturée, cette plateforme a fait l’objet de nombreux recours contentieux devant la justice administrative par des demandeurs d’asile qui n’arrivent pas à obtenir de rendez-vous.  A l’accueil de jour, on leur prête un téléphone (la plateforme est payante) et, même si quelqu’un décroche, il faut attendre plusieurs semaines la date du rendez-vous.

La suite est un long parcours du combattant : constitution du dossier, délai de la procédure, recours auprès de la CNDA si la demande est rejetée (75% des demandes), et aussi la promesse de passer d’un dispositif à l’autre au gré du statut. Le candidat Macron s’est engagé récemment, s’il est réélu, à durcir encore le droit d’asile.


La France, pays de transit pour les réfugiés ukrainiens- 14/04/2022

Alors que le Haut-Commissariat aux réfugiés annonçait mardi 4,65 millions de réfugiés ukrainiens, 25 000 sont hébergés sur le sol français depuis le début de la guerre.

Avec sa grosse valise à roulettes, son manteau chic, ses lunettes de soleil relevées, Tatiana ressemble aux centaines de voyageurs déambulant Gare de Lyon, à Paris, alors que démarrent les vacances scolaires.  Elle est accueillie par des bénévoles de la Croix Rouge et deux agents d’accueil de la SNCF, au stand dédié à l’orientation des arrivants ukrainiens. Comme nombre de ses compatriotes, elle n’est à Paris qu’en transit : elle veut aller à Barcelone rejoindre des amis, et vient juste se renseigner sur le prochain train en partance.

Aminata, qui gère l’accueil SNCF, le confirme : « la grande majorité des personnes qui arrivent en gare repart dans la journée, ou dans les 2-3 jours qui suivent ». Les destinations privilégiées sont l’Espagne, le Portugal, le Royaume-Uni ou l’Italie, où des communautés ukrainiennes sont présentes depuis longtemps. Elle reconnait même quelques voyageurs déjà passés par Paris, elle vient de repérer un monsieur qui a déjà fait plusieurs allers-retours depuis Budapest. « Certains viennent pour des RDV médicaux, ou pour aller à l’Ambassade, et ils repartent, vers un pays de premier accueil à l’Est ou plus au Sud ».

A quelques centaines de mètres, dans le gymnase ouvert par la Ville de Paris, avec l’aide de l’association Aurore, l’équipe d’accueil souligne le phénomène de va-et-vient. « Nous avons rencontré pas mal de personnes qui sont déjà passées par 3 ou 4 pays, et qui n’ont pas encore fait leur choix ».

Le statut de protection temporaire dont bénéficient les ressortissants ukrainiens dans l’ensemble des pays de l’Union Européenne leur garantit, où qu’ils aillent, une autorisation provisoire de séjour de 6 mois, renouvelable jusqu’à 3 ans.

« C’est la grosse différence avec les vagues d’accueil précédentes » explique Tarek, directeur d’activités à Aurore. « Habituellement, les demandeurs d’asile ou réfugiés primo-arrivants sont pris dans des procédures administratives longues, devant aboutir à une installation pérenne sur le territoire. Avec la protection temporaire, les ukrainiens ont plus de flexibilité, ils veulent se laisser le temps de voir où ils iront ».  

A l’entendre, même avec un régime de procédure « accélérée », les démarches administratives prennent du temps sur le sol français. « Les ressortissants ukrainiens reçoivent un récépissé dès le lendemain de leur arrivée, mais ensuite l’obtention de l’Allocation pour Demandeur d’Asile prend plusieurs jours, puis il faut accéder à un hébergement ». L’Etat français a mis en place un système d’hébergement provisoire, via des citoyens ou des structures associatives, mais n’a pas encore arbitré sur un schéma plus pérenne d’accueil dans des logements. « En Allemagne, les réfugiés reçoivent dès leur arrivée leurs papiers, une première allocation et sont orientés vers des logements directement ».

Le Ministère de l’Intérieur a indiqué ce jour avoir délivré près de 40 000 autorisations provisoires de séjour, mais 25 881 personnes sont recensées comme hébergées en France. A titre comparatif, l’Espagne a déjà accueilli plus de 100 000 personnes, l’Allemagne deux fois plus.


« A Saint-Denis, ce sera Macron ou l’abstention »- 13/04/2022

 Ce mercredi 13 avril, alors qu’Emmanuel Macron a entamé la bataille de l’entre-deux tours « projet contre projet » face à sa rivale Marine Le Pen, les dyonisiens sont divisés sur leur futur choix électoral et gardent l’espoir d’une troisième voie.

Devant l’Hôtel de Ville, les habitants, qui ont voté massivement en faveur de Jean-Luc Mélenchon au premier tour (61% des suffrages), sont unanimes et pas tout à fait en ligne avec la tendance nationale. En-effet, selon les projections de l’IFOP publiées ce lundi 11 avril, 39% des électeurs mélenchonistes seraient prêts à voter Emmanuel Macron au second tour, 41% préfèreraient voter blanc ou s’abstenir et 20% glisseraient un bulletin Marine Le Pen dans l’urne.

Corinne et Aïcha, agentes municipales, sont à l’unisson : « A Saint-Denis, ce sera Macron ou l’abstention ». Fait exceptionnel au regard des résultats nationaux, le pourcentage des votes en faveur de Marine Le Pen et d’Emmanuel Macron est en baisse par rapport aux dernières présidentielles.

Dans le camp des abstentionnistes, pas question de céder au diktat du vote utile « qui va à l’encontre de mes valeurs » affirme Richard, 70 ans, retraité depuis 10 ans qui travaille encore comme agent de sécurité pour arrondir ses fins de mois. Pour lui, aucun des deux candidats au second tour n’a sa confiance. « Macron nous met au pied du mur et Le Pen nous mène droit à la guerre civile ». Son collègue Gérald établit un bilan sévère du mandat présidentiel actuel « nos droits ont régressé, le service public se délite, le chômage s’aggrave, comment croire que Macron fera la bascule vers une politique plus sociale ? ». La mine défaite, Kader, animateur, n’ira pas voter lui non plus. Il a peur du pouvoir grandissant du président actuel, qui se traduit notamment par le contrôle renforcé des citoyens « on l’a vu avec le pass sanitaire ».

Yusuf, mécanicien vélo, pondère : « Marine Le Pen, ce serait plus catastrophique qu’Emmanuel Macron ; comment fonctionnerait l’économie sans les étrangers qui acceptent aujourd’hui de travailler dans le bâtiment, le nettoyage, la restauration ?». Difficile quand même d’imaginer le candidat président « continuer à nous appauvrir ». « Depuis janvier on m’a retiré 200 € de prime d’activité alors que je continue à payer 400 € d’impôts et que je gagne à peine le SMIC ».

William, qui travaille dans l’économie solidaire, votera sans hésitation Macron au second tour. « De plus de plus de gens autour de moi disent qu’ils voteront Marine Le Pen par calcul, pour créer la fracture qui redonnera l’envie de voter à gauche en 2027 ». Il s’inquiète : « il s’agit de personnes très informées, capables d’analyser, qui sont prêtes à basculer vers l’extrême droite ». Pour Julia, psychologue sociale « on parle quand même d’un parti ouvertement xénophobe, dangereux pour notre démocratie ».

Martine, militante communiste de toujours, amène-elle une note plus positive. « Jamais un 3ème candidat n’a été aussi bien placé ! J’ai été déçue que plusieurs partis appellent à voter Macron au second tour sans même chercher à négocier mais le score de Mélenchon ouvre la possibilité de sortir du face-à-face ». Au vu de la recomposition électorale, il est peu probable en-effet que les élections législatives de juin soient une répétition de celles de 2017. Le prochain scrutin pourrait être plus ouvert.


L’ancien médecin était aussi un tyran domestique- 30/03/2022

Florian, 64 ans, écope de 18 mois de prison ferme : depuis 36 ans il maltraitait sa femme.

Au Tribunal Correctionnel de Paris, ce mercredi 30 mars, Florian S., 64 ans, est jugé pour injures et violences répétées à l’encontre de son épouse et de deux des gendarmes venus l’interpeller à son domicile.

Ca n’est pas le premier procès de Mr S. En 2018 déjà, il était condamné à trois mois d’emprisonnement et deux ans de mise à l’épreuve pour des violences envers son épouse, avec laquelle il est marié depuis 36 ans.

Debout devant la barre, appuyé sur sa béquille, cet ancien médecin reconnu invalide semble étrangement imperturbable face aux questions insistantes des juges et de la procureure.

Ce jour-là, la dispute a surgi au moment de la préparation du repas. Mme S. veut cuisiner des petits pois, son époux lui indique préférer les lentilles mais Mme n’en tient pas compte. Florian décide de se commander un repas, l’épouse refuse de lui donner la carte bancaire, la colère monte, Florian bascule son épouse sur le lit, la frappe violemment puis tente de l’étrangler, tout en lui disant « tu sais qu’il ne me faut que 4 mins pour te tuer ». Des policiers alertés débarquent au domicile. Ils tentent de menotter Florian qui se débat, les injurie et frappe deux d’entre eux. Il part en détention préventive, il est à la Santé depuis 5 semaines.

Pour la procureure, l’accusé ne se remet pas en question. « Monsieur a choisi de laisser son épouse en vie », dit-elle, « mais il aurait pu la tuer ».

« Qu’est-ce qui explique ces comportements violents ? » demande le juge. « Je vois un psychiatre depuis plusieurs années, je reconnais que parfois je dérape, des fois c’est elle qui me cherche, mais ça doit s’arrêter ».

La prison ne le soignera pas.

L’avocate de Mr S. s’appuie sur un rapport d’expertise qui indique des troubles psychiques ayant altéré le jugement de Mr au moment des faits. Elle déroule l’histoire du prévenu. Il a longtemps travaillé pour SOS Médecins, un AVC l’a rendu invalide et presque aveugle. Depuis, il ne sort plus de chez lui. Sa femme dit de lui : « il ne supporte pas sa souffrance, il fait peser sur les autres sa tristesse et sa solitude ». Le divorce est inévitable, les deux époux le souhaitent ; au-delà, Mr S. a besoin de soins, d’accompagnement pour réfléchir et comprendre, la prison ne le permettra pas.

Les juges ne l’entendent pas ainsi ; la peine prononcée va même au-delà de celle requise par la procureure : deux ans de prison dont six mois de sursis probatoire avec obligation de soins et interdiction d’approcher son épouse. L’accusé devra également verser une amende à chacun des policiers ayant subi un préjudice.