Social / Emploi

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Des milliers d’enfants sont à la rue : des parlementaires et des associations réclament des mesures d’ampleur- 18/10/2023

Crédit: Unicef France

Alors que s’est ouvert hier, mardi 17 octobre, l’examen du projet de budget 2024 de l’Etat à l’Assemblée Nationale, 56 députés et sénateurs issus de différents mouvements (partis membres de la NUPES, LIOT, Renaissance, MoDem) cosignent une tribune demandant une hausse du nombre de places d’hébergement et une politique du logement plus ambitieuse.

Cette tribune est à l’initiative d’Unicef France et du Collectif des Associations Unies (CAU), dont les porte-voix sont la Fondation Abbé Pierre (FAP) et la Fédération des Acteurs de la Solidarités (FAS). Ils dénoncent une fois de plus la situation insoutenable des enfants à la rue : au 2 octobre dernier, 2 822 enfants étaient sans solution d’hébergement après que leur famille ait sollicité le 115, soit 42% de plus qu’un mois auparavant.

A force de batailler sur les chiffres, le gouvernement a finalement consenti à maintenir les 203 000 places existantes dans le schéma d’hébergement généraliste, ainsi que l’a annoncé Aurore Bergé, ministre des Solidarités, lors de la présentation du Pacte des Solidarités, il y a trois semaines. Mais cela ne suffit, martèlent les acteurs associatifs alors que, chaque soir, 8 000 demandes d’hébergement d’urgence au 115 ne sont pas pourvues, et encore c’est sans compter les nombreuses personnes qui n’ont plus recours au 115 ni les mineurs non accompagnés. « Il faut créer 10 000 places d’hébergement supplémentaires, pas moins, pour que plus personne ne dorme à la rue » demandent ils.

La pire crise du logement depuis la seconde guerre mondiale

« C’est la pire crise du logement que connaît la France depuis la seconde guerre mondiale » reconnait Lionel Causse, député des Landes (Renaissance). Lors de son congrès début octobre, l’Union Sociale pour l’Habitat (USH) annonçait 2,4 millions de ménages en attente d’un logement social « le signe évident et clinique d’une part croissante de la population qui ne parvient pas à se loger dans des conditions décentes et à un prix abordable ». « La machine est totalement enrayée » dit Stéphane Peu, député de Seine Saint Denis (Parti Communiste), «dans mon département, il y a deux fois et demi moins de logements sociaux accessibles qu’il y a dix ans ».

Conférence de presse- Assemblée Nationale- 17 octobre

De son côté, William Martinet, député des Yvelines (La France Insoumise), pointe le risque de la banalisation « à chaque rentrée nous discutons du sujet, il faut en finir avec ça et c’est à notre portée ». Il s’inquiète des coupes dans le budget du logement social, qui freinent les sorties des dispositifs d’hébergement, et dénonce le non-respect par les préfectures de la loi sur l’inconditionnalité et la continuité de l’accueil. « Nous avons déposé plusieurs amendements pour augmenter le nombre de places d’urgence, financer du logement social abordable et revaloriser les salaires des professionnels du travail social, en première ligne, confrontés à l’immense détresse sociale de notre pays » annonce-t-il.

La « hiérarchisation par le pire »: le choix impossible des travailleurs sociaux

Marie-Charlotte Garin, députée du Rhône (Europe-Ecologie les Verts) s’alarme d’une véritable « crise humaine », elle souligne aussi une crise de la réponse : « l’Etat est dans une réalité parallèle lorsqu’il nie qu’il y a des personnes à la rue, on constate une hausse des expulsions locatives alors qu’il annonce un plan de prévention des expulsions, quel sens ça a ? » se demande-t-elle. Elle évoque la « hiérarchisation par le pire » et le choix impossible auquel sont soumis les écoutants du 115, lorsqu’il n’y a pas assez de place et qu’il faut donner la priorité à un enfant d’un an plutôt qu’à un enfant de deux ans.

Conférence de presse- Assemblée nationale- 17 octobre

Plusieurs villes viennent de déposer un recours pour que l’Etat assume ses obligations en matière de prise en charge des personnes à la rue, comme à Strasbourg, à Bordeaux, à Paris, à Grenoble, à Lyon et à Rennes. Et, un peu partout en France, des collectifs citoyens se sont mis en place pour pallier aux carences de l’Etat : des particuliers mais aussi des lieux publics, comme les écoles, hébergent des personnes à la rue, notamment des familles avec des enfants. Pour Juliette Murtin, enseignante et membre du collectif lyonnais Jamais sans toit, les familles à la rue sont « totalement abandonnées de la République » et la générosité citoyenne est en train de se substituer au principe de solidarité nationale. Stéphane Peu cite de son côté la maternité de l’hôpital Delafontaine,  à Saint Denis, qui garde quelques jours de plus les femmes ayant accouché pour leur éviter la rue : « on peut avoir des désaccords sur beaucoup de sujets mais c’est impossible de ne pas nous rassembler sur cet objectif de sortir du sans-abrisme ».

Longtemps, je ne me suis pas considérée comme un être humain

Bibiche Kudima, une jeune femme d’origine congolaise, membre du collectif lyonnais Solidarité entre femmes à la rue, raconte son parcours depuis qu’elle a été déboutée de sa demande d’asile et expulsée du foyer qui l’hébergeait : les nuits glaciales sous la tente avec ses enfants, les dangers de la rue, le trafic, la violence, l’incertitude des lendemains, l’impossibilité de travailler. Depuis quelques semaines, l’action du collectif a conduit la mairie de Lyon à autoriser l’occupation d’une ancienne maison de retraite mais combien de temps cela va-t-il durer ?. « Nous comptons sur les politiques, ce sont aussi des parents ! » lance-t-elle le regard digne. Racha, une adolescente de 15 ans, vit depuis trois ans dans une chambre insalubre de 9 m2 avec sa mère et son frère : « nous n’avons aucune intimité, pendant longtemps je ne me suis pas considérée comme un être humain ». Grâce au soutien du collectif Jamais sans toit d’Ivry, elle n’a jamais baissé les bras et a brillamment décroché son brevet. Elle va bientôt pouvoir aménager dans un appartement décent  mais « ça a été très long… ». Franck, jeune garçon de 16 ans, a vécu dans les rues de Douala dès l’âge de 9 ans, depuis il a dû se débrouiller pour survivre. Son périple a duré presque deux ans avant d’arriver en France il y a quelques semaines, pris en charge par le collectif Utopia 56. « On m’a dit que le récit de mon parcours migratoire manquait de clarté mais on ne m’a pas laissé le temps de raconter ! ».

Un plan de relogement d’urgence

Pour que cela cesse enfin, le Collectif des Associations Unies propose un plan de relogement d’urgence et des leviers pour agir avant le début de la trêve hivernale. « Il y a plusieurs marges de manœuvre pour accélérer l’accès au logement » indique Manuel Domergue, directeur des études à la FAP. Il réclame notamment la mobilisation effective des contingents par chaque réservataire de logement social (l’Etat, les collectivités locales, les employeurs…) au profit des ménages prioritaires, comme la loi les y oblige. Il défend un assouplissement nécessaire des situations non régularisées : « on sait que l’accès au logement déclenche toutes les autres démarches en voie d’une régularisation ». On pourrait aller plus vite aussi pour lutter contre le non-recours, une des priorité du Pacte des Solidarités : cet été, lorsque la préfecture de Seine Saint Denis a annoncé une baisse de 1 000 places d’hébergement à l’hôtel, le dialogue avec les acteurs sociaux a permis de recruter en contrepartie des personnes pour accompagner l’accès aux droits des personnes hébergées et leur trouver des solutions. Enfin, depuis longtemps réclamée, une programmation pluriannuelle permettrait d’avoir de la visibilité plutôt que de continuer avec une politique qui « bouge tous les trois mois » et laisse la situation dramatique des sans-abris se répéter, et s’amplifier.


« La pauvreté est-elle devenue une fatalité? »: les associations à la rencontre d’Aurore Bergé, ministre des Solidarités- 12/10/23

Ce jeudi 12 octobre, partout en France, les acteurs associatifs et les personnes accompagnées se sont mobilisés pour dire « halte à la braderie du social », à l’initiative de la Fédération des acteurs de la solidarité (FAS). A peine trois semaines après qu’Aurore Bergé, ministre des Solidarités et des Familles, ait annoncé un nouveau Pacte des solidarités, les associations alertent sur une réponse qui n’est pas « à la hauteur » des besoins des 9,2 millions de personnes plongées dans la pauvreté selon les critères de l’Insee.

Le pacte des solidarités: des mesures paradoxales

Pour rappel, ce Pacte s’articule autour de quatre axes : la prévention de la pauvreté et la lutte contre les inégalités dès l’enfance, la sortie de la pauvreté par le retour à l’emploi, l’accès aux droits et la transition écologique avec la réduction des dépenses contraintes des ménages en matière d’alimentation, d’énergie et de mobilité. Les mots ont été savamment choisis « approfondir la dynamique de prévention », « creuser le sillon du retour à l’emploi », « passer à l’échelle les mesures qui marchent » mais ils n’ont pas convaincu les associations qui ont dénoncé des politiques publiques paradoxales. Comment rehausser les bas salaires sans revaloriser le Smic ? Comment sortir de la logique d’hébergement d’urgence sans faire croître le logement social ? Comment combattre le non recours tout en accentuant les mesures de radiation de l’assurance chômage ou des minimas sociaux ?

En fin de journée, la ministre est venue dialoguer avec des directeurs d’associations, des travailleurs sociaux et des usagers dans la nouvelle pension de famille d’Emmaüs Solidarité, en face du ministère de la Culture, en plein cœur de Paris.  L’ambiance est chaleureuse mais elle n’efface pas les mines sombres, les acteurs du social sont fatigués et ne s’en cachent pas.

De plus en plus de femmes et d’enfants à la rue

« Hier nous avons laissé 226 familles en demande d’hébergement à la rue, parmi elles il y avait 111 enfants de moins de 3 ans » déplore un écoutant du 115 de la Seine Saint Denis. « Et encore, je ne parle que de ceux qui ont composé le 115, beaucoup n’appellent même plus ! » précise le travailleur social qui s’inquiète de la proportion de plus en plus forte de femmes et d’enfants dans la rue. Michaël travaille au sein d’un accueil de jour lyonnais : « on traverse tous les mêmes difficultés » soupire-t-il. « C’est presque rassurant, vous faites les mêmes constats » tente la ministre pour détendre l’atmosphère. « Non pas tout à fait… » murmure Michaël qui raconte son quotidien. Il évoque les mères isolées et leurs jeunes enfants qui squattent près de la gare et viennent se reposer la journée « nous sommes souvent énervés, frustrés de ne pas pouvoir leur proposer de solution d’hébergement, ce sont presque elles qui nous remontent le moral, en nous disant très dignement qu’elles attendront ! ».

Nos subventions n’ont pas suivi l’inflation

Loïc Courteille dirige La Canopée, une association basée dans les Hauts de Seine. Il s’inquiète des budgets qu’il ne peut plus boucler « nous n’arrivons plus à payer nos charges fixes, nos subventions n’ont pas suivi l’inflation ». Il regrette aussi les échanges de plus en plus restreints avec les tutelles « elles-mêmes sous pression » et une bureaucratie devenue excessive « on travaille sur de l’humain quand même… ». Mais il veut surtout alerter la ministre sur la perte d’attractivité des métiers du social « dans certaines conventions collectives, les grilles démarrent parfois en dessous du Smic alors que nous embauchons des travailleurs sociaux diplômés, avec au minimum un Bac +2 ! ». Fini le temps où les acteurs du social, à partir de leur travail de terrain, proposaient des projets innovants, efficaces, intelligents, qui souvent se sont transformés en dispositifs pérennes, constitutifs des politiques publiques « depuis 2010 nous avons basculé dans une logique d’appels à projets pour répondre à une commande publique, fini l’innovation ».

C’est une question d’humanité

Lotfi Ouanezar, directeur d’Emmaüs Solidarité, renchérit « nous sommes passés de 6 000 à 7 000 personnes accueillies avec le même budget, et les flux ne cessent de grossir ». Il se dit préoccupé par ces personnes âgées, vivant avec le minimum vieillesse, qui viennent faire leur lessive dans les centres ou par ces travailleurs pauvres qui demandent à pouvoir dormir dans les abris de nuit. « C’est une question d’humanité en fait, la pauvreté deviendrait elle une fatalité ? » questionne t’il en regardant la ministre. « Nous n’avons pas fermé  nos centres durant le Covid-19, vous pouvez être fière des travailleurs sociaux de notre pays, ils sont un ciment pour la société ». Il rappelle que l’inaction peut coûter beaucoup plus cher «  et les français ne comprennent pas qu’il puisse y avoir des gens à la rue ».  « Oui, toute la société est concernée ! » rebondit une ancienne usagère « c’est grâce à un travailleur social que j’ai pu sauver ma peau et celle de mes enfants ». Elle lève la tête « c’est à vous, madame la ministre, de représenter le travail social ! ».

Aurore Bergé prend enfin la parole « vous êtes le réceptacle de la souffrance dans ce pays, vous êtes en bout de chaine et sans doute à bout de souffle, je vois bien qu’il y a une sorte de burn-out des travailleurs sociaux ». Elle cite la maltraitance administrative à laquelle elle veut mettre un terme, tout comme elle veut faire cesser les appels à projets « vous perdez votre temps, vous vous épuisez ». Elle affirme vouloir changer tout ça, et vite ! Habilement, elle rebondit sur le Pacte des solidarités « ce qui fonctionne bien doit continuer, notamment à l’échelle très locale ». Elle demande aussi à ce que toutes les situations qui dysfonctionnent sur le terrain lui soit remontées « pour être réglées mais aussi pour en tirer des enseignements » : « je veux qu’on rappelle les préfectures, les CAF, qu’on comprenne ce qui ne va pas ».

Des solutions déjà là, qu’il faudrait appliquer

La ministre rappelle son intention de mettre fin au non-recours « il nous coûte plus cher ». « Mais vous savez, les solutions existent déjà ! » ne peut s’empêcher de lui souffler la résidente d’une structure d’hébergement. Elle évoque les naufragés du DALO (droit au logement opposable), ceux qui ont cherché en vain des solutions de logement et qui, en dernier recours, tentent de valoir ce droit. Ils attendent parfois depuis des années un logement alors que certaines préfectures refusent de mettre à disposition une partie de leur contingent, même si la loi les y oblige.

En réponse à la demande de la ministre, Pascal Brice, le président de la FAS, s’engage à faire remonter les situations. Il dit aussi compter sur des mesures d’urgence, des crédits alignés sur l’inflation, ainsi qu’une « impulsion de fond et de la confiance à l’égard du travail social » rappelant que, depuis des années, les acteurs sociaux ont fait remonter aux précédents ministres leurs constats, leurs données, leurs analyses et leurs alertes.

Une prochaine rencontre actée pour la fin de l’année

Aurore Bergé propose une nouvelle rencontre en fin d’année pour faire le bilan. « Mais le 1er novembre c’est la trêve hivernale, que devons nous faire ? » demande une travailleuse sociale. La ministre renvoie sur son collègue ministre du Logement, et en charge du 115, avant de partir sans prendre le temps de répondre aux journalistes comme prévu initialement. « La ministre était à l’écoute, elle nous demande des remontées, elle fait des propositions, nous allons la prendre au mot » indique Pascal Brice en sortant.


Près de 2 000 enfants à la rue faute de solutions d’hébergement d’urgence via le numéro d’appel 115- 31/08/23

L’Unicef et la Fédération des Acteurs de la Solidarité viennent de publier le 5ème baromètre « enfants à la rue » : à quelques jours de la rentrée des classes, le nombre d’enfants à la rue et sans solution d’hébergement ne cesse d’augmenter.

Couverture Baromètre Unicef et FAS

A la veille de la rentrée scolaire, près de 2 000 enfants dorment à la rue, sans solution d’hébergement, et près d’un quart d’entre eux ont moins de trois ans. Le chiffre est en augmentation depuis quelques années. C’est ce qu’indique le 5ème Baromètre « Enfants à la rue » publié par l’Unicef et la Fédération des Acteurs de la Solidarité (FAS) le 30 août 2023.

Une réalité encore plus inquiétante

Et encore, il ne s’agit que des enfants dont la famille a sollicité le numéro d’appel 115: quand on sait que de plus en plus de personnes ne passent plus par ce numéro d’urgence, découragées par le manque de solutions proposées, que nombreux sont ceux qui vivent en squat ou en bidonvilles et que les mineurs non accompagnés ne se déclarent pas, le chiffre est très largement sous-estimé. Il n’en traduit pas moins une terrible réalité qui s’étale là, sous nos yeux: encore aujourd’hui, des enfants, parfois très jeunes, dorment à même le trottoir ou dans des lieux insalubres. Il est aussi le reflet d’une politique publique à bout de souffle, incapable de mettre fin au sans-abrisme, en dépit des engagements répétés des gouvernements successifs.

Le décompte a été réalisé dans la nuit du 21 au 22 août 2023 et s’appuie sur les données fournies par les associations gestionnaires du numéro d’appel d’urgence 115, sollicité pour obtenir une place en centre d’hébergement d’urgence. Selon ces données, les deux tiers des appelants au 115 qui n’ont pas vu leur demande aboutir sont des familles, à savoir un adulte isolé ou un couple avec des enfants, qui pour 87% d’entre elles avaient dormi à la rue la veille. Facteur inquiétant, le nombre des femmes seules a presque doublé (+46%) par rapport à l’année dernière à la même période.

« C’est trop dur« 

« C’est trop dur » confie Kaïna, qui campe avec son compagnon et son bébé de 5 mois dans un gymnase de Lyon réquisitionné par la Préfecture pour l’été après avoir dormi pendant des mois dans la rue, sur le toit d’un supermarché et dans un squat géant au milieu de la vermine . « La mairie nous a demandé de partir avant la rentrée, on ne sait pas ce qu’on va faire, la PMI nous a dit qu’elle ne pouvait pas nous aider, elle nous a dit que la crèche ça n’est pas, comme l’école, un droit : il faut travailler mais moi je ne demande que ça, travailler! ».

Paris reste le département le plus en tension  suivi de la Seine Saint Denis, du Nord, de la Haute-Garonne et du Bas-Rhin. Parmi eux, des demandeurs d’asile et des personnes déboutées du droit d’asile mais aussi des personnes ayant subi une expulsion locative et plongées dans la grande pauvreté. « Le plus difficile pour nous c’est l’incertitude de ne pas savoir ce que nous allons devenir » dit Maisa, maman de Lisa, 11 ans, et de Liana, 9 ans : avec son compagnon, ils attendent depuis des mois un logement promis par la Préfecture.

Une politique du logement qui manque cruellement d’ambition

Au début de l’été, les acteurs de l’hébergement et du logement avaient déjà tiré la sonnette d’alarme: depuis la fin de l’hiver, de nombreuses places d’hébergement ont été fermées, les remises à la rue se sont multipliées et les discussions autour du budget 2024 laissent à penser que le nombre de places pourrait être revu à la baisse l’année prochaine. C’est toute la politique de production de logements qu’il faut aussi revoir. Les acteurs du logement dénoncent une politique peu ambitieuse, des coupes budgétaires sur la production de logement social et très social, l’absence de mesures pour réguler durablement les loyers et de nouvelles suppressions d’aides au logement. « Le tableau général est très inquiétant » alerte Manuel Domergue, de la Fondation Abbé Pierre, « et c’est le secteur de l’hébergement qui va le payer ». « Nous demandons à l’Etat de ne pas réduire les places d’hébergement et de mettre en œuvre un plan d’actions pluriannuel au vu des besoins en hausse et du manque de logements », complète Nathalie Latour, de la Fédération des Acteurs de la Solidarité.


La prévention de la récidive reste un angle mort de la réforme de la justice- 07/07/2023

Le projet de loi de programmation et d’orientation pour la justice, adopté par le Sénat en première lecture le 13 juin 2023, est débattu depuis lundi à l’Assemblée nationale. Eric Dupond Moretti, ministre de la Justice, y porte l’embauche de 10 000 personnes, un accès simplifié à la magistrature, une révision du Code de procédure pénale et la création de 15 000 places de prison d’ici 2027, au détriment de mesures ambitieuses pour accompagner les détenus sortant de prison ou sous aménagement de peine. Reportage sur le chantier d’insertion Etap’Web de l’association l’Îlot.

Crédit: l’ïlot

Il en a fait son porte-étendard du quinquennat : dans le projet de loi de programmation et d’orientation pour la justice, actuellement à l’examen à l’Assemblée nationale, Eric Dupond-Moretti porte l’ambition d’une justice « plus rapide » avec l’embauche de 10 000 personnes, des voies d’accès à la magistrature facilitées et une simplification par ordonnance de de rédaction du Code de procédure pénale. Alors qu’il annonce aussi la création de 15 000 places de prison pour 2027, le projet de loi fait l’impasse sur le suivi des sortants de prison et des personnes sous aménagement de peine, pourtant central dans la lutte contre la récidive.

Un nombre insuffisant de postes de conseillers pénitentiaires

Selon un rapport d’information du Sénat de février 2023, il y a en France 6 700 agents CPIP (conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation). Le projet de loi prévoit la création de 600 postes supplémentaires, ce qui reste largement sous-estimé quand on sait que les CPIP ont vocation à suivre les quelques 73 000 détenus qui sortiront un jour de prison et les 160 000 personnes qui font l’objet d’un suivi hors les murs.

Si le ministre de la Justice affiche sa volonté de développer le recours au TIG (travail d’intérêt général), en généralisant notamment la possibilité de faire appel aux organisations de l’économie sociale et solidaire, rien n’indique un renforcement des moyens confiés aux associations pour l’accompagnement plus pérenne des personnes sortant de prison ou sous-main de justice. Pourtant, les services pénitentiaires d’insertion et de probation demeurent dépendants des partenaires extérieurs- au premier rang desquels se situent les associations- pour préparer les sorties et construire des parcours de réinsertion cohérents.

Crédit: l’Îlot

Etap’Web, un chantier d’insertion ouvert aux sortants de détention

Sur le terrain, ces associations, pas si nombreuses, affichent pourtant des réussites prometteuses qui mériteraient d’être davantage soutenues et mises en avant. En Île-de-France et dans d’autres régions, l’association l’Îlot accompagne depuis plus de cinquante ans des personnes sortant de détention. En cette matinée ensoleillée de juin, devant le pied d’immeuble d’un quartier populaire du centre d’Aubervilliers, deux hommes attendent patiemment que le local d’Etap’Web s’ouvre. Sofien, l’encadrant du chantier d’insertion, les accueille avec un large sourire. Au milieu du local, un ancien commissariat de police, trône une belle salle informatique où s’installent un à un les arrivants. L’ambiance est dans la retenue mais on sent dans les sourires et dans les gestes le plaisir d’être là et de se retrouver.

Le chantier Etap’Web a démarré il y a tout juste un an, il s’adresse à des publics sous-main de justice ainsi qu’à des bénéficiaires de minimas sociaux qu’il forme au métier de développeur Web. Youssef, 22 ans, est sorti de prison il y a huit mois. En détention, il était accompagné par un CPIP qui l’a orienté vers l’Ilot. « L’entretien de recrutement tombait en même temps qu’une date programmée pour mon opération de la jambe, j’ai choisi d’aller à l’entretien, j’ai bien fait «. Youssef a été sélectionné une semaine après mais a dû attendre encore deux mois avant de sortir de prison. « Ici on s’entend tous bien, on s’écoute, on s’entraide, notre formateur est exceptionnel, c’est parce que j’adore apprendre avec lui que je suis motivé à me réveiller tous les matins », s’enthousiasme le jeune homme. « J’ai fait des tas de petits boulots, j’ai notamment travaillé dans le bâtiment ; depuis les chantiers, je voyais des open space et je rêvais de travailler là-dedans » raconte t’il.

Développeur web, un métier valorisant et ouvert à tous

Au sein du chantier, les apprenants sont embauchés en contrat à durée déterminée d’insertion qui vont jusqu’à 24 mois. Ils sont en activité 20 heures par semaine et bénéficient de 6 heures d’accompagnement hebdomadaire. Salem, 27 ans, vient d’arriver après avoir effectué onze mois de détention « mérités, ça m’a fait réfléchir ». En prison, c’est grâce à sa conseillère Pôle Emploi qu’il a trouvé ce contrat à Etap’Web. « Je voulais faire du web, j’ai intégré le chantier dès ma sortie, ça ne me laisse pas le temps de cogiter, et je suis tout de suite au travail, c’est tout ce que je désirais » affirme ce papa d’une petite fille de 2 ans qu’il regrette de ne pas avoir vu grandir. Salem a été mis tout de suite dans le bain de l’apprentissage du code. Pour l’instant, la formation correspond à ce qu’il en attendait. Tunisien d’origine, il est reconnaissant de l’accompagnement dont il a pu bénéficier jusqu’ici « dans mon pays c’est impossible d’avoir ça, quand tout est à portée de main on doit faire des efforts et avancer »

Le chantier d’insertion reçoit des subventions d’aides aux postes et fonctionne en partie grâce à son activité économique, le développement et la maintenance de sites web. Pour apprendre à coder, nul besoin d’avoir des compétences informatiques, « nous demandons simplement aux personnes de savoir lire et écrire, et d’avoir déjà un usage basique de l’ordinateur ». « Très vite, on leur fait faire des prestations pour nos clients » explique Isabelle, responsable des activités d’insertion de l’association. Parmi les commanditaires d’Etap’Web, le ministère de la Justice, des associations, l’Observatoire des inégalités, des sites de e-commerces et des petites entreprises.

Sofien, encadrant- Crédit: l’ïlot

Sofien, l’encadrant technique, est ingénieur en informatique. Après avoir travaillé quelques années au sein d’entreprises importantes et de start-ups, il a fait le choix du modèle associatif. « Le monde de l’entreprise est violent, la pression est permanente, il faut faire du résultat, ici j’ai trouvé un cadre de travail cohérent avec mes valeurs ». Il a intégré l’équipe de Code Phénix, partenaire de l’Îlot, et a piloté le démarrage d’Etap’Web. Il passe d’un ordinateur à l’autre, adapte ses conseils à chacun des apprenants, encourage les uns et les autres d’une voix posée. « J’ai été prof de voile, je faisais déjà du sur mesure, c’est passionnant de faire progresser chacun à son rythme » explique l’encadrant, qui fait aussi travailler ses apprentis avec des tutos et d’autres ressources en ligne. « Le métier de développeur est très valorisant, l’activité est à haute valeur ajoutée et le secteur est en tension même s’il n’est pas facile de trouver un premier emploi comme partout ailleurs ». Le formateur évoque, la mine réjouie, la transformation qui s’opère sur les apprentis après leur passage par Etap’Web « c’est incroyable de les voir s’épanouir à ce point, la transformation est physique, leur visage change, ils se tiennent différemment, ils s’entraident ».

« On les accompagne aussi dans leurs démarches administratives, dans leur accès aux soins de santé et, pour certains, dans la recherche d’un hébergement pérenne » ajoute Isabelle. « Beaucoup ont des problèmes de santé quand ils sortent de prison, leurs dents sont en mauvais état, ils ont des difficultés respiratoires, des douleurs articulaires, etc. Le problème c’est que 90% d’entre eux ne sont pas à jour dans l’administratif de leurs papiers , que ce soit papier d’identité, carte vitale ou rattachement à leur caisse de domicile, impôts ou autres…

De même, une grande majorité ne possède plus de papier d’identité. Les mairies sont saturées, les délais d’obtention sont très longs, bloquant la possibilité d’ouvrir un compte bancaire, il faut donc se débrouiller avec l’entourage, pour ceux qui ont la chance d’en avoir un. « Beaucoup d’anciens détenus ont aussi des dossiers de surendettement ou sont en dette à l’égard de la justice, nous avons régulièrement des saisies sur salaires » précise Isabelle.

Des procédures de justice longues et complexes

Sofiane, 35 ans, vient d’être relaxé. Accusé de non-assistance à personne en danger, il n’a jamais fait de prison mais il a attendu son jugement pendant six longues années. « Un vieux monsieur est tombé dans la cage d’escalier de mon immeuble, j’ai voulu l’aider mais j’ai mis du temps à joindre les pompiers. Le monsieur est décédé le lendemain à l’hôpital d’un AVC, une enquête a été ouverte, mes voisins et les gens du quartier ont été interrogés, c’est difficile à vivre… ». Le Covid-19 est passé par là, le jugement a été reporté quatre fois. Sofiane a donc eu le temps, avec l’aide du SPIP (service pénitentiaire d’insertion et de probation) de trouver une association qui l’aide à passer son permis de conduite puis de repérer l’Îlot. « J’étais déjà réparateur informatique, je m’étais renseigné sur le développement web, ça m’a plus tout de suite ». Sur le point de décrocher un stage au sein du groupe M6, Sofiane est confiant sur son futur professionnel « je me vois bien intégrateur web, et puis ça recrute de partout ». Son encadrant est lui aussi optimiste. Parmi les premiers sortis, un a monté son entreprise, un autre a été embauché comme commercial, un troisième continue à se spécialiser dans une école informatique.

« Il faut mettre de l’argent dans les écoles, pas dans la construction de places de prison » insiste Sofiane. « La prison devrait être le dernier recours après avoir essayé autre chose, ça change quelqu’un, je l’ai vu dans mon entourage, ça endurcit mais pas dans le bon sens ». L’Îlot cherche à développer ses projets, l’association vient de s’engager notamment sur les mesures de TIG dites « pédagogiques », moins limitées dans le temps et permettant d’accompagner et de travailler les suites de parcours à la sortie, et donc d’anticiper et d’éviter les ruptures. Car, pour les personnes sortant de prison, « le délai pour accéder à un projet d’insertion est souvent assez long » rappelle Isabelle, « il nous faut anticiper toujours plus les mesures d’aménagement de peine ou de sortie ».

Depuis janvier 2023, le juge d’application des peines peut décider de libérer un détenu qui a déjà exécuté les deux tiers de sa peine. Cette « liberté sous contrainte », effectuée sous certaines conditions, s’envisage sous la forme d’une libération conditionnelle ou d’une mesure d’aménagement de peine, sous le régime de la semi-liberté, de la surveillance électronique ou encore d’un placement extérieur. « Les centres de semi-liberté sont ainsi devenus saturés » explique la responsable insertion de l’Îlot. Elle cite le cas d’un salarié entré récemment à Etap’Web après un véritable parcours du combattant. En semi-liberté dans un centre parisien, il a dû se faire domicilier en Seine Saint Denis et être transférer au centre de semi-liberté de Gagny pour pouvoir être embauché au sein du chantier d’insertion, ouvert uniquement aux résidents du département. La justice a demandé une enquête supplémentaire, obligatoire, dans ce nouveau lieu d’aménagement de peine et, au moment de la validation du recrutement au sein du chantier d’insertion, le SPIP a informé l’association qu’il n’y a plus de places à Gagny. « Le CPIP a dû faire modifier la peine et demander une surveillance électronique. Heureusement, le nouveau juge d’application des peines a compris l’importance de l’enjeu et a donné son accord mais il nous a ensuite fallu attendre de connaitre sa date de sortie exacte, cela a pris encore du temps ».

« La durée des procédures devra être divisée par deux d’ici la fin du quinquennat » répétait le ministre de la Justice lors de la présentation de son plan d’action en début d’année. Pourtant, la réforme présentée aujourd’hui ne s’attaque pas directement au problème des délais toujours très longs pour obtenir une décision de justice définitive, ne permettant pas aux détenus de se projeter, seuls ou accompagnés, sur la voie de la réinsertion après leur sortie de prison.