Humanitaire & Droits

Humanitaire & Droits

Quand la terre tremble Revue Alternatives Humanitaires- Juillet 2023

Le numéro 23 de la revue Alternatives Humanitaires, publié à l’été 2023, questionne l’état du droit international humanitaire, ses capacités d’adaptation aux enjeux humanitaires contemporains et les raisons des remises en cause dont il est l’objet. J’y consacre un article sur les suites du tremblement de terre qui a frappé la Turquie et la Syrie en février 2023, qui accompagne les photos d’Alessio Paduano https://www.alternatives-humanitaires.org/fr/2023/07/17/quand-la-terre-tremble/


Les mutations du monde humanitaire- 05/04/2023

Alors que le CICR vient d’annoncer la suppression de 1 500 emplois à travers le monde, faute de financements suffisants, la plateforme Coordination Sud qui coordonne les ONG françaises à l’international a présenté le 4 avril 2023 une étude « acteurs et actrices de la solidarité internationale : quelle(s) mutation(s) ? »

Des évolutions essentiellement financières

La première partie de l’étude revient sur l’analyse des grandes évolutions du secteur humanitaire. Elles sont essentiellement d’ordre financier, on peut en regretter le parti pris. Le rapport tente d’analyser l’influence croissante des financeurs publics et privés qui ne cessent d’imaginer de nouveaux outils financiers pour générer ce qu’on appelle dans le jargon humanitaire des « effets leviers ou effets démultiplicateurs », en d’autres termes il faut cibler toujours plus de bénéficiaires de l’aide humanitaire internationale et générer toujours plus d’impact.

En France, l’aide publique au développement permet désormais de financer les entreprises solidaires d’utilité sociale qui ont développé des modèles de « social business » comme le groupe SOS par exemple, qui n’est pas nommé dans le rapport mais reste une référence implicite. Elle ambitionne aussi de financer davantage les acteurs locaux, c’est un des enjeux de ce que l’on appelle la délocalisation de l’aide que les ONG appellent de leurs vœux tout en redoutant qu’elle n’entraine un partage des ressources financières qui ne leur soit défavorable à terme.

Thibaut Lespagnol, qui travaille au sein de la Direction Générale de la Mondialisation (DGM) du Ministère de l’Europe et des Affaires Etrangères affirme que la nouvelle stratégie française en matière d’aide au développement passe par « les sociétés civiles et les engagements citoyens », il évoque aussi le « choc des financements publics et privés » que pourrait susciter le « sommet pour un nouveau pacte financier mondial » qui se tiendra à Paris en juin prochain, suite aux engagements pris par Emmanuel Macron après le COP 27 de proposer des solutions pour financer des enjeux comme l’accès à la santé ou la lutte contre la pauvreté.

La délocalisation de l’aide…sans se départir des moyens financiers nécessaires à la croissance des ONG internationales

En attendant, selon des chiffres fournis en 2020 par Coordination Sud, les neuf plus grosses ONG internationales captent encore près des trois quart des financements à l’international, la croissance de leurs programmes se poursuit et elles réclament des financements toujours plus substantiels aux Etats donateurs, tout en constatant que les ONG locales sont perdantes1…  Ces mêmes organisations humanitaires défendent le principe, mort dans l’oeuf, du Grand Bargain, décidé lors du premier sommet humanitaire mondial à Istanbul en 2016, soit un rééquilibrage important (25% des fonds en 2020) de l’enveloppe allouée aux ONG dites du sud.

Les contrats à impact de développement sont assez lourds à porter

Dans la même logique, du côté du privé, on note l’essor des investissements à impact pour le développement. En France, le rapport cite I&P (Investisseurs et Partenaires), société de fonds d’investissement privés qui s’adresse aux entreprises d’Afrique Subsaharienne « à forte valeur ajoutée locale » gérée par Jean-Michel Severino, un ancien délégué général de l’AFD et administrateur au sein de la Banque Mondiale.

La seconde partie de l’étude tente d’analyser ce qu’elle qualifie d’évolution, dans leurs modes d’engagement, des acteurs de la solidarité internationale. Rien de vraiment nouveau finalement : le secteur de l’économie sociale et solidaire essaie depuis longtemps de s’implanter dans les pays « du sud » à travers différents modèles de développement, comme l’a fait le groupe précurseur Nutriset, créé dans les années 80, qui vend des pâtes nutritives pour lutter contre la malnutrition. Tout comme les entreprises engagées dans une démarche RSE s’essaient aux projets « inclusifs » ou à la philanthropie. Le rapport s’attarde sur les entreprises privées- principalement anglo-saxonnes- transformées en prestataires des organisations humanitaires, gérant par exemple des espaces- camps de réfugiés- ou des services publics- logistique et transports.  L’étude, prudente ne s’appesantit pas sur cette logique de privatisation de l’aide, à peine questionnée en France comme ailleurs, et ne cite que peu de noms : on regrette le manque d’exemples, à moins que cela ne soit le signe de tendances qui restent marginales car complexes et peu accessibles aux ONG, au fond peu adaptées.

Des mouvements qui cherchent à s’affranchir du modèle associatif « institutionnalisé »

Pour finir un rapide panorama des mouvements sociaux et citoyens qui sont apparus ces dernières années, notamment en Afrique à l’instar de Y’en a marre au Sénégal, du Balai citoyen au Burkina Faso ou de La lutte pour le changement (Lucha) en République Démocratique du Congo. Pour Laurent Duarte, secrétaire exécutif du collectif Tournons la page, qui rassemble organisations de jeunes, mouvements liés à l’Eglise et syndicats, les mobilisations citoyennes sont nombreuses et anciennes sur le continent africain et « si le discours semble radical aux yeux de la société française, ces mouvements ne font que réclamer l’application de leur constitution nationale », s’inscrivant aussi dans une volonté de s’affranchir « d’une certaine logique de domination post coloniale ». Il déplore que le droit français ne se soit pas encore adapté à des principes fondateurs et organisationnels plus souples « il nous a fallu un an pour ouvrir un compte en banque alors que nous sommes hébergés par des ONG françaises » : il y a encore du chemin à faire pour accéder aux financements institutionnels « on se demande encore s’il est utile et pertinent de déposer un projet à l’AFD ».

La conclusion du rapport nous laisse un peu sur notre faim : la prise de conscience de cet « écosystème » complexe doit s’accompagner d’une connaissance plus fine des acteurs émergents, cette pluralité est une « richesse » qu’il faut cependant mieux réguler, l’enjeu restant pour les ONG de pouvoir contrer « d’inévitables effets pervers «  qui pourraient leur nuire.

1 Le Monde Diplomatique, Mars 2023: « repenser le financement de l’aide humanitaire » par Pierre Micheletti


Les féministes africaines: du droit à l’application des lois- 08/03/2023

Women demonstrating in Dabou, Ivory Coast Women demonstrating in Dabou, Ivory Coast. GODONG / BSIP (Photo by GODONG / BSIP / BSIP via AFP)

Si les voix des féministes africaines ont retrouvé un écho ces dernières années, portées par la vague #metoo, leurs luttes ne sont pas nouvelles. La sénégalaise Ndeye Fatou Kane, dans son livre « Vous avez dit féministe ? » publié aux éditions l’Harmattan, rappelle que les femmes ont toujours activement pris part aux mouvements de libération et aux luttes sociales, même si la plupart d’entre elles ne se sont jamais revendiquées féministes comme on l’entend en Occident.

LA PAROLE SE LIBERE

C’est à travers la technologie et les réseaux sociaux, plus récemment les plateformes numériques et les podcasts, que se libère la parole des jeunes générations de femmes africaines. On y observe de nouvelles formes de revendications, plus affirmées, notamment autour de la sexualité. “Dès qu’on commence à parler, on commence à questionner », fait remarquer Nana Darkoa Sekyiamah, féministe ghanéenne qui a créé le blog « Adventures from the bedroom of African Women” pour « ouvrir des conversations et lever des tabous ». Même son de cloche chez Emma Onekekou, activiste ivoirienne, qui a créé WOMA Média, un site en ligne, pour donner la parole aux femmes lesbiennes ouest africaines. Elle a voulu créer un espace accessible avec « du contenu et de la profondeur » qu’on ne trouve pas toujours sur les réseaux sociaux.

Au-delà de la lutte mobilisatrice contre les discriminations et les violences basées sur le genre, les féministes africaines pénètrent aussi aujourd’hui des débats dans lesquels elles ne sont pas forcément attendues comme sur le  droit à la propriété, la révision du code de la famille ou la possibilité d’accéder à leurs propres ressources notamment à la terre.

Là où les campagnes publiques traditionnelles de sensibilisation peinent à convaincre les hommes de proscrire la violence, là où le droit coutumier prédomine, les femmes influentes, au même titre que les autorités plus traditionnelles, sont devenues des intermédiaires plus légitimes que les ONG, souvent considérées comme trop éloignées des réalités des populations. Au Tchad, où 60% des filles sont mariées avant l’âge de 18 ans, les « super banat », jeunes militantes féministes, organisent des causeries éducatives dans les maisons de quartier, les écoles ou même directement auprès des familles. Au Bénin, raconte Chanceline Mevowanou, activiste membre du réseau des Jeunes féministes d’Afrique de l’Ouest, « nous créons des espaces, dans les écoles et autres lieux publics, où les adolescents, filles et garçons, peuvent apprendre à nommer les inégalités et disposer des ressources qui les aideront à construire leur mobilisation ».  Les thématiques s’y croisent ; santé sexuelle et reproductive, accès à un avortement sécurisé, prévention contre les violences liées au genre : « nous nous attelons aussi à déconstruire le sexisme et nous abordons frontalement  la question du consentement ». 

FAIRE APPLIQUER LA LOI!

Reste au Bénin comme dans beaucoup d’autres pays de la région à faire appliquer la législation. « Ca fait plus d’un an qu’a été votée une loi autorisant l’accès à l’avortement mais il n’y a toujours pas de décret d’application alors que 200 femmes meurent chaque année des suites d’un avortement clandestin », explique l’activiste béninoise. « Les autorités ont voulu nous calmer mais il n’y a pas la volonté politique pour avancer ».  

La lutte contre le vide juridique fait partie des priorités de tous les réseaux féministes. Justine Masika Bihamba a créé en République Démocratique du Congo l’ONG Synergies des femmes pour les victimes de violences sexuelles. Elle accompagne depuis de longues années les femmes victimes de violences sexuelles liées à la guerre dans la province du Nord-Kivu. « Rien ne changera véritablement tant que nous n’aurons pas d’état de droit » martèle t’elle. « La loi congolaise prévoit de cinq à vingt années de prison pour les auteurs de viols mais nombre d’entre eux voient leurs peines réduites ou simplement annulées tant la corruption est grande »  dénonce la militante congolaise, précisant qu’aucune victime n’a encore vu la couleur de fonds qui sont depuis quelques années débloqués pour les dédommager.

Dieynaba N’Diom, militante féministe mauritanienne et membre elle aussi du réseau des Jeunes féministes d’Afrique de l’Ouest, s’inscrit dans le même registre : « nous faisons le pari de la sensibilisation, nous recevons un nombre croissant de sollicitations de femmes qui ont besoin d’aide, la preuve que notre mobilisation a un impactmais comment accompagner les femmes alors que, dans mon pays, elles peuvent se retrouver en prison en allant porter plainte pour viol ». A l’instar de la Mauritanie, de nombreux pays africains ne disposent même pas aujourd’hui de l’arsenal juridique nécessaire pour réprimer les violences basées sur le genre, qualifiées par l’ONU de « violation des droits humains la plus répandue mais la moins visible au monde ». Au Niger, 99% des victimes de viols ne saisissent pas la justice, indique un rapport de la fondation allemande Friedrich-Ebert. « Et quand elles le font, les condamnations ne sont jamais à la hauteur de la gravité des faits ».

La voie reste étroite : « l’engagement féministe demeure très difficile sur le continent africain » rappelle la sociologue féministe sénégalaise Fatou Sow, qui ajoute « les féministes africaines font face à un écueil majeur : les inégalités de genre sont justifiées et acceptées comme des normes sociales conformes aux valeurs ancestrales ». Ce conservatisme se nourrit aussi aujourd’hui de la montée des fondamentalistes chrétiens et musulmans dans plusieurs pays africains.  « Etre activiste c’est se mettre en danger » souligne Dieynaba N’Diom, régulièrement menacée dans son pays. « En Mauritanie le féminisme est assimilé à une forme de terrorisme par certains courants religieux qui ne veulent pas que les femmes s’émancipent ». Justine Masika, qui est la cible des combattants rebelles du M23, reste pugnace « militer reste un combat que nous gagnerons » affirme t’elle.


Emma Onekekou, porte-voix des femmes queer en Afrique de l’Ouest

La militante ivoirienne créée des médias numériques qui donnent de la visibilité aux femmes lesbiennes et transgenres dans toute l’Afrique de l’Ouest et vient d’autopublier le deuxième volume d’un recueil de nouvelles intitulé « A celles qui s’aiment ».

Sur les rares photos qu’on peut voir d’elle sur les réseaux sociaux, elle sourit peu mais se tient toujours fière, altière, le regard droit devant, prête à la lutte. Emma Onekekou est le nom qu’elle s’est choisi, son nom de militante sous lequel, écrivaine et blogueuse hyperactive, elle signe des textes incisifs et engagés pour dénoncer l’homophobie, la violence, la stigmatisation que subissent les personnes LGBTQ (lesbiennes gays bisexuels transgenres et queer) en Afrique de l’Ouest.

A 25 ans seulement, Emma a déjà vécu plusieurs vies, au gré d’une situation familiale complexe, où la religion catholique prend beaucoup de place. Sa mère s’est battue pour les élever seule, elle et sa sœur. Elève brillante, la fillette connait une adolescence chaotique : agressée et violée à 17 ans, elle se rebelle, découvre la fête et l’alcool, et se tourne vers l’Eglise Evangélique « j’avais besoin de faire une transition, de changer de religion » ce qui précipite la rupture avec la famille. « Ca m’a ouvert sur pleins de choses, les inégalités hommes-femmes, le fait que le mariage n’était pas obligatoire… ». Elle cite aussi le film Fatou la malienne qui l’a bouleversée enfant « dans le film, les gens acceptaient le viol comme quelque chose de normal ».

La jeune femme découvre très tôt son orientation sexuelle mais c’est juste avant sa majorité qu’elle décide d’aller de l’avant et d’assumer sa sexualité, après être tombée enceinte, « je ne voulais pas forcément d’enfant à cette période de ma vie, mais j’avais fait si peu d’informations sur la contraception». Emma reprend des études, devient journaliste, travaille dans les ressources humaines puis fait une pause qu’elle met à profit pour s’engager dans le militantisme LGBTQ « à une période de ma vie où j’avais besoin de réponses sur ma sexualité et que personne ne m’en donnait».

« des valeurs patriarcales et hétéronormées très présentes« 

Les associations qu’elle fréquente ne tiennent pas compte, selon elle, des problèmes  spécifiques aux femmes lesbiennes alors Emma créée WOMA Média, un site en ligne, pour donner la parole aux femmes lesbiennes ouest africaines « nous sommes marginalisées, les valeurs patriarcales et hétéronormées sont fortement présentes y compris au sein de la communauté LGBTQ et ce sont les femmes lesbiennes qui en paient les frais ».

L’activiste a ouvert la voie : de plus en plus de médias numériques militants se créent dans la sous-région francophone. Sur WOMA Média, des femmes lesbiennes se racontent et partagent leur expérience. Emma a voulu créer un espace accessible avec « du contenu et de la profondeur » qu’on ne trouve pas toujours sur les réseaux sociaux. Elle veut aller plus loin et parle de son désir d’écrire davantage encore en direction des femmes LBTQ « c’est encore rare en Afrique de l’ouest, c’est difficile de trouver des maisons d’éditions». Elle a d’ailleurs auto-édité ses deux recueils de nouvelles intitulés « à celles qui s’aiment » et elle est en train de coréaliser un court métrage lesbien.

Emma raconte l’homophobie silencieuse, très présente en Côte d’Ivoire, les récentes agressions physiques dans les rues d’Abidjan contre des personnes LGBTQ ou encore les violences que subissent les homosexuels dans leur cercle familial  «si vous êtes tuée en tant que personne LGBTQ, justice ne vous sera pas rendue, il n’existe aucune loi qui protège ». L’an dernier, lors d’un débat à l’Assemblée sur la révision du code pénal, l’orientation sexuelle parmi les motifs de discrimination a été abrogée. « Les personnes LGBTQ sont encore stigmatisées, avec la montée des pensées radicales religieuses, je crains leur condition ne se dégrade encore plus ».

« Il n’existe aucune loi qui nous protège« 

L’homosexualité reste un crime dans une majorité de pays africains. Dans certains pays, la Côte d’Ivoire, le Botswana ou encore de la République Démocratique du Congo, elle n’est pas interdite mais les discriminations restent très fortes. D’autres, comme le Gabon et l’Angola, viennent tout juste d’abolir son interdiction. Selon les données 2020 de l’Association internationale des personnes lesbiennes, gay, bisexuelles, trans et intersexes (ILGA), 32 pays bannissent encore l’homosexualité, le Nigéria, l’Ethiopie, l’Egypte ou encore l’Algérie et le Maroc. Et surtout, une quarantaine n’offrent encore aucune protection juridique.

Emma plaide pour des programmes plus actifs en matière de santé sexuelle dans la sous-région « on n’entend jamais parler du carré de latex ou du préservatif des doigts pour nous protéger parce que la santé sexuelle et reproductives des femmes lesbiennes n’est pas une préoccupation majeure ». La militante considère l’intime comme politique et se bat pour le monde dans lequel elle souhaite vivre demain, celui où sa fille de 12 ans pourra « décider de la façon dont elle veut gérer sa sexualité ».  Et où les femmes africaines auront toutes accès à l’éducation et les mêmes chances que les hommes.


Yémen: un pays à l’agonie- 27/02/2023

Les Nations-Unies ont réuni ce lundi à Genève une conférence des donateurs pour venir en aide à 17 millions d’habitants du Yémen, victimes de la guerre et de la famine, alors qu’elles viennent de prolonger le régime des sanctions économiques visant le pays.

Le Yémen continue de mourir en silence, enlisé dans une guerre civile qui fait rage depuis huit ans, qui a déjà provoqué la mort d’au moins 340 000 personnes et plongé ses habitants dans une des pires catastrophes humanitaires d’aujourd’hui. 

Le pays fait l’objet de sanctions imposées par les Nations-Unies depuis 2015 et renouvelées chaque année, qui interdisent les exportations d’armes et dictent une série de pénalités financières visant principalement des responsables rebelles houthis. Ces sanctions, arrivées à expiration ce mardi 28 février, viennent d’être prolongées de neuf mois par le Conseil de sécurité, qui réaffirme également un embargo illimité sur les armes.

Dans ce pays le plus pauvre de la péninsule arabique, le conflit yéménite oppose les Houthis, mouvement rebelle issu de la minorité chiite, aux forces progouvernementales, politiquement divisées et soutenues par une coalition dirigée par l’Arabie Saoudite et les Emirats Arabes Unis. En l’absence de pourparlers sérieux entre les différentes parties au conflit, un cessez-le-feu généralisé a tout de même pu être négocié par l’ONU, mettant fin à toute activité militaire majeure. En janvier dernier, si l’émissaire onusien pour le Yémen, Hans Grundberg, reconnaissait une relative accalmie dans le conflit et l’absence de changements majeurs sur les différentes lignes de front, il pointait aussi le risque d’escalade alors que les parties yéménites au conflit s’affrontent toujours autour des enjeux de souveraineté et que la trêve n’est officiellement pas renouvelée depuis octobre 2022.

Pendant ce temps, l’économie poursuit son déclin et les besoins humanitaires s’aggravent. Selon Martin Griffiths, qui coordonne les secours d’urgence à l’ONU, « l’année 2023 sera extrêmement difficile pour la population du Yémen, alors que les services essentiels ne tiennent plus que jamais qu’à un fil ». Le Yémen est l’un des cinq pays classés en situation de quasi-famine par les Nations-Unies, au moins 70% de la population dépend de l’aide humanitaire pour survivre et le système de santé est presque à l’arrêt. Lundi 27 février, le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guteress, a réclamé 4,3 milliards de dollars pour « venir en aide à 17 millions de personnes qui auront besoin d’une forme d’assistance en 2023 » soit deux tiers de la population. Les pays donateurs présents ne se sont engagés que sur 27% du montant requis. L’année dernière, sur un montant de besoins équivalent, la moitié seulement a été couvert.

« Il est temps d’agir » s’alarmaient une trentaine d’ONG présentes au Yémen dans un communiqué commun en septembre 2022. Elles se plaignent d’un accès de plus en plus difficile dans les zones de conflit, des tentatives d’ingérence dans la distribution des secours et des pressions exercées par les autorités locales dans le choix des sous-traitants ou les déplacements du personnel humanitaire.  


Un monde toujours plus inégalitaire- 28/12/2022

Le Monde- Libre de droit

Si, ces quarante dernières années, les pays se sont nettement enrichis, les Etats se sont, eux, considérablement appauvris. Dans son dernier rapport, le Laboratoire des inégalités mondiales, codirigé par Lucas Chancel et Thomas Piketty, insiste sur l’effet amplificateur de la crise du covid-19 qui a vu les Etats emprunter entre 10 et 20% de leur PIB, pour l’essentiel au secteur privé. « Leur appauvrissement hypothèque gravement la capacité des Etats à combattre les inégalités et à relever les grands défis du 21ème siècle, comme le changement climatique ».

« Tendre le miroir au monde peut provoquer bien des frustrations ! » indiquent en préambule du rapport Esther Duflo et Abhijiit Banerjee, tous les deux lauréats du prix Nobel d’économie en 2019. Parmi les chiffres les plus évocateurs, celui-ci : la moitié la plus pauvre des pays ne représente que 2% de la richesse mondiale. Malgré de réelles avancées ces dernières décennies, la réduction de la pauvreté est au ralenti. « D’autres menaces planent : les conséquences du réchauffement de la planète vont frapper de manière disproportionnée les pays les plus pauvres » insiste Esther Duflo.

La récente COP 27 a péniblement accouché d’un fonds d’intervention qui devrait servir à financer les « pertes et dommages » liés aux dérèglements climatiques pour les pays les plus vulnérables, mais l’ancienne Ministre Najet Vallaud Belkacem, aujourd’hui directrice de la branche française de l’ONG ONE, s’inquiète de sa mise en œuvre effective.

Le mouvement ONE, cofondé par Bono, leader du groupe U2, organise des campagnes de plaidoyer autour des enjeux de développement et de lutte contre l’extrême pauvreté, autour d’un message inlassablement répété : « les pays pauvres croulent sous le poids de leur endettement, les seuls intérêts de leur dette sont cinq fois supérieurs aux ressources qu’ils mettent dans les secteurs de la santé et de l’éducation ».

Le G20 avait bien accepté de geler les intérêts de la dette des pays pauvres lors de la pandémie de COVID-19 en 2020 et 2021, mais il n’a pas poursuivi l’effort en 2022. Pour que les pays les plus pauvres espèrent se sortir de ce cercle infernal il faudrait donc un cadre de référence qui pose le principe de la refonde de la dette et qui inclue l’ensemble des créanciers, les états, les institutions internationales et le secteur privé, qui en détient 30%

Pour Daniel Cohen, économiste, cofondateur de l’Ecole d’économie de Paris et professeur à l’Ecole Normale Supérieure, l’asymétrie est énorme et jamais les efforts de solidarité internationale n’ont été aussi faibles, alors que tous les pays s’accordent sur les grands enjeux économico-climatiques. « Il devient impossible de penser les enjeux de manière planétaire, on est entré dans une guerre froide, dominée par les Etats-Unis et la Chine, qui empêche toute action collective ».

Les inégalités ne sont pas nouvelles. Le Fonds Monétaire International a créé il y a plus de 50 ans les Droits de tirage spéciaux (DTS) pour compléter les réserves de change de ses pays membres. En 2021, il a procédé à une nouvelle allocation de 650 milliards de dollars : selon une logique redistributive au prorata de la position relative de chacun des 190 pays membres dans l’économie mondiale, les 59 pays les plus pauvres n’ont reçu que 4% de l’allocation.

Pourtant, affirme Daniel Cohen, « avec 650 milliards de dollars, il pourrait y avoir quelques effets de levier intéressants en faveur des pays les plus pauvres ». Il souligne l’engagement du président Macron pour un partage volontaire des DTS des pays riches vers les pays les plus pauvres, mais jusqu’ici les discussions ont échoué, les institutions bancaires internationales n’ont pas voulu perdre leurs liquidités. « Même cet argent fictif est compliqué à redistribuer pour les pays qui nous gouvernent ». Le président français, parti en croisade sur le sujet, a annoncé un sommet en 2023 pour un « pacte financier » avec les pays vulnérables.

Daniel Cohen pense lui que le financement du développement des pays pauvres ne se fera qu’avec de l’argent public. Il souligne que « les créanciers internationaux sont en train de quitter l’Afrique ». Il pointe la baisse de l’aide publique au développement, en particulier sur le continent africain, ainsi que la présence économique chinoise qui faiblit et les taux d’intérêt qui remontent.

On assiste en tous cas à une convergence inédite des crises : bouleversements climatiques, pandémie de COVID-19, pénurie des énergies, conflits armés récurrents et persistants, inflation…la liste s’allonge ! Le régime économique qui a prévalu pendant les 30 ans qui ont suivi la chute du Mur de Berlin s’est interrompu, et la gouvernance mondiale ne sait pas comment et par quoi le remplacer.

Dans le dernier ouvrage de Daniel Cohen « Homo numericus : la civilisation qui vient », le monde s’enferme dans le capitalisme virtuel du numérique qui se substitue à ce que l’on ne veut pas voir, en premier lieu toutes ces crises. Il y aura bien sur d’autres cycles, peut-être dans quelques dizaines d’années, mais la planète n’a plus le temps ! Elle fait au moins face à un impératif, celui de la sobriété carbonée.

La jeune génération semble sensible aux enjeux de solidarité mondiaux, elle va peut-être susciter des appétences pour celles qui vont suivre et amener à renouveler nos imaginaires.