La Décennie de l’Océan 2021-2030

La Décennie de l’Océan 2021-2030

J’ai réalisé la plupart de ces articles, classés dans leur ordre chronologique, dans le cadre d’un partenariat entre le Celsa et l’Institut de l’Océan (Sorbonne Nouvelle) qui vise à promouvoir le travail des chercheurs

Interview de Francesca Santoro qui coordonne le programme mondial d’éducation à l’océan au sein de l’Unesco- 27/05/2023

« Si nous voulons mieux protéger l’océan, nous devons mieux l’enseigner » déclarait Audrey Azoulay, directrice générale de l’Unesco (l’Organisation des Nations-Unies pour l’Eduction, la Science et la Culture) et ancienne Ministre de la Culture, lors du sommet « One Ocean » à Brest en février 2022. A cette occasion, elle a demandé aux 193 Etats-membres des Nations-Unies d’intégrer l’éducation à l’océan dans leurs programmes scolaires d’ici 2025. Dans le cadre de la Décennie « des Océans » des Nations Unies 2021-2030, pour des sciences océaniques au service du développement durable, l’Unesco cherche à faciliter le travail des Etats pour une meilleure connaissance et une meilleure gestion des océans.

En amont de la Journée mondiale de l’océan le 8 juin prochain, Francesca Santoro, qui coordonne au niveau mondial le programme de l’éducation à l’océan au sein de la Commission Océanographique Intergouvernementale (COI) de l’Unesco, revient sur les enjeux de la Décennie des « Océans ».

Comment fonctionne concrètement le programme d’éducation à l’océan ?

Ce projet, qui a démarré en Europe en 2015, s’est inspiré d’un programme d’éducation aux sciences de la mer né aux Etats-Unis. Il s’agissait au départ de créer des ressources pédagogiques autour de la connaissance et de la protection des océans : la démarche, d’abord très scientifique, a pris une dimension plus éducative au fil des ans, nous sommes partis d’analogies entre la santé de l’océan et la santé de l’homme pour intéresser davantage le grand public, nous avons aussi développé des vidéos et des publications.

L’Unesco a un réseau de 14 000 écoles qui lui sont associées partout dans le monde, c’est sur ce réseau que nous nous appuyons pour déployer ce programme éducatif. La première conférence des Nations-Unies sur l’océan, en 2017, a été une vraie caisse de résonance : pour la première fois, tous les Etats-membres se sont engagés sur la thématique du développement durable des océans. Nous avons obtenu un soutien financier important de la Suède pour développer des activités éducatives et, au-delà de la connaissance scientifique de l’océan, nous avons travaillé sur des formations plus ciblées selon les contextes géographiques et culturels. Nous encourageons en fait les savoirs informels et nous pensons que les communautés côtières ont une expertise.

Nous avons aussi cherché à développer des réseaux pour faciliter le déploiement de ces connaissances : c’est ainsi qu’a été créé le réseau européen des « écoles bleues », avec l’idée de faire de l’océan un sujet discuté tout au long de l’année scolaire dans l’enseignement secondaire et d’ouvrir les programmes, au-delà des écoliers et des enseignants, à l’ensemble d’une communauté citoyenne. Nous souhaitons étendre ce concept et intégrer encore plus largement, demain, les enjeux du développement durable de l’océan dans le cursus scolaire de tous les Etats-membres. C’est un processus long et compliqué mais des pays s’y intéressent déjà, je pense aux petites iles du Pacifique, comme les Seychelles et les Iles Fidji, mais aussi au Portugal, à la Suède, et bien sûr à la France qui a créé un Comité national sur l’éducation à l’océan.

Qu’attendez-vous de cette Journée mondiale de l’océan du 8 juin prochain ?

Je travaille depuis 25 ans sur les sciences de la mer et je n’ai jamais vu un tel intérêt pour l’océan qu’aujourd’hui, alors qu’il est resté longtemps un sujet de niche ! Nous commençons à obtenir des résultats, nous l’avons vu encore récemment avec l’adoption par les Nations-Unies d’un traité sur la haute mer [qui vise à conserver et à utiliser durablement la biodiversité marine des zones ne relevant pas des juridictions nationales]. Les Nations-Unies ont déjà tenu deux conférences mondiales sur l’océan, une troisième aura lieu à Nice en 2025, il existe un envoyé spécial des Nations-Unies sur l’océan. Les choses bougent ! Je note aussi un engagement de plus en plus fort de partenaires experts du secteur privé.

Cette année, il s’agira avant tout de célébrer ces avancées. Nous organiserons des évènements dans les écoles, nous préparons une exposition « océans et climat » à Venise, où se tient le bureau régional de l’Unesco de la science et la culture pour l’Europe. Nous avons commencé à parler de la question du changement climatique et de l’océan lors de la COP 21, nous avons créé la Plateforme Océan et Climat et c’est un sujet qui a fait l’objet d’un très fort dialogue lors de la récente COP 27.

Au-delà de promouvoir une meilleure connaissance des enjeux liés au développement durable de l’océan, pouvez-vous illustrer quelques-unes des réponses aux changements environnementaux sur lesquelles travaille l’Unesco ?

En-effet, l’Unesco effectue tout un travail pour développer la coopération internationale en sciences marines et pour améliorer la gestion concrète des océans, des côtes et des ressources marines. Notre organisation coordonne elle-même des programmes d’observations et de services océaniques.

J’ai pour ma part contribué à créer, il y a quelques années, un système d’alerte aux tsunamis pour la Méditerranée et l’Atlantique Nord-Est. Il n’y avait aucun système d’alerte sur l’Océan Indien lors les tsunamis de 2004 en Asie du Sud-Est, cela a eu un véritable effet révélateur. Là encore, au-delà de mettre en place un système opérationnel, il s’agit de sensibiliser et de former les civils : nous organisons des formations pour permettre à des citoyens d’intégrer la protection civile. Pour la zone Méditerranée et Atlantique Nord-Est, nous avons mis en place des centres régionalisés en Turquie, au Portugal, en France et en Italie mais nous avons aussi désigné un point focal dans chaque pays et mis en place tout un processus d’évacuation des populations, la décision d’évacuer ou pas étant prise ensuite par chacun des Etats-membres.


Portrait d’Olivier Chaline, historien de la mer- 02/02/2023

Un historien à bâbord !

Olivier Chaline. L’historien de la mer, qui codirige aujourd’hui l’Institut de l’Océan, est obnubilé par la transmission de la mémoire maritime.    

Les yeux pétillant, il se souvient, enfant, de sa fascination pour la mer et les navires : « dans un livre qu’on m’a offert pour mes six ans, je suis tombé en admiration devant des vaisseaux marins, ça m’a fait rêver et c’est toujours pas fini ». Devenu un brillant historien, spécialiste notamment de l’histoire maritime des XVII° et XVIII° siècles, Olivier Chaline a vécu une partie de son enfance à Rouen, où ses parents, eux-mêmes historiens, on ne se refait pas, enseignaient. Grand amoureux de la région, cette terre de « conquérants venus de la mer », il lui a consacré un livre paru chez Gallimard : « la Normandie entre terre et mer».

A l’oral de Normale Sup, le sujet sur lequel il tombe, « la marine de Louis XIV », est comme un clin d’œil du destin pour cet admiratif du souverain auquel il a consacré plusieurs ouvrages, et grâce à qui la France est devenue la première puissance militaire sur terre comme sur mer. Doctorant, il enseigne à la rue d’Ulm puis se spécialise sur l’histoire militaire de l’Europe centrale au XVII° siècle. Jamais bien loin de son sujet favori, il part quelques temps à Prague mais en profite pour co-signer une histoire de la mer Adriatique. On ne se refait pas !

C’est durant ses années d’enseignement à l’Université de Rennes puis à la Sorbonne qu’il se spécialise véritablement en histoire maritime. Lui qui n’a jamais gouverné un bateau de sa vie, la navigation l’impressionne. Il épluche les carnets de bord des officiers de la marine royale, troublé par la profusion et la précision des données mais aussi par l’ingéniosité des officiers de vaisseaux qui n’aura de cesse d’évoluer au fil de l’histoire moderne. « On dit souvent que les français tournent le dos à la mer, l’histoire dit le contraire ». Il peut parler des heures durant des sondes qu’utilisaient les navigateurs bretons au XVIII° siècle pour trouver leur chemin, « si le Petit Poucet avait été marin, il aurait semé des cailloux au fond de la mer ».

L’apprentissage du métier intéresse tout particulièrement l’historien : pour être marin, il faut des connaissances techniques qui se sont longtemps transmises de façon empirique. Dans un ouvrage récent « Apprendre la mer, au temps de la voile en France au XVII et XVIII° siècles » aux éditions Flammarion, il décrit l’apprentissage du métier chez les jeunes mousses, souvent illettrés, qui embarquaient dès l’âge de 12 ans, partagés entre l’attraction pour « l’immensité du ciel et des flots » et la violence des éléments.

Il se rend régulièrement dans le Finistère, à l’école navale de la presqu’île de Crozon, pour mieux comprendre les techniques de navigation avec lesquelles il s’est pourtant familiarisé ces dernières décennies, et prêche pour le croisement des compétences et des savoirs. Comme un gosse, il raconte encore ému sa traversée sur la goélette la Belle poule entre Brest et Rouen, « j’y ai appris pleins de choses ». Pour embarquer ensuite ses étudiants dans une flotte qu’il leur fait manœuvrer avec des pavillons, comme au XVIII° siècle. 

Auteur prolifique, il a rédigé une trentaine d’ouvrages qu’il a parfois eu du mal à faire éditer : « l’éditeur est le seul à avoir de bonnes idées » souligne t’il avec malice. Il faut bien se faire connaitre, alors il parcourt la France dans les colloques et les rencontres, encore récemment il célébrait le tricentenaire de la Chapelle des Marins d’Arcachon. Il excelle à partager avec le public les récits d’histoire et d’archéologie maritime et raconte, le regard fiévreux, la découverte du Magenta au large de Toulon, cette frégate du XIX° siècle qui a fait naufrage en revenant de Tunisie chargée du produit des fouilles effectuées à Carthage, « c’était comme le Trésor de Rackham le Rouge en version antique ».

Aujourd’hui il dirige la Fédération d’Histoire et archéologie maritime à Sorbonne Université, qui réunit aussi le Musée National de la Marine et l’Ecole navale, et il copilote l’Institut de l’Océan. Il trouve toujours le temps, entre ses multiples projets de recherche, d’aller se ressourcer en Normandie. « Il m’arrive de passer des heures sur les galets de la plage de Pourville, à côté de Dieppe, si chère à Claude Monet, c’est un peu ma salle d’étude ». Il en profite parfois pour improviser une conférence dans un village en plein pays de Caux « ça m’aère un peu ».  

Au sein de Sorbonne Université, il prône pour une communauté de chercheurs et la juxtaposition des disciplines autour de son objet de recherche favori, la mer, même si le milieu universitaire est un peu long à se mettre en ordre de marche : « il reste encore pleins de choses non rimées dans la cale ». La métaphore marine, encore et toujours ! Ancré dans l’histoire, il est aussi tourné vers l’avenir et rappelle que l’Institut de l’Océan travaille sur les risques et les adaptations face aux changements globaux. Avec toujours l’objectif de faire connaître son travail aux décideurs et à la société. « Ca n’est pas parce qu’on parle océan que la catastrophe est inéluctable ». Alors, au-delà de ses recherches scientifiques, il poursuit ses rencontres avec le public, pour partager un réel « plus complexe que l’idée qu’on s’en fait ».


Faut-il exploiter les bas-fonds marins ? 13/05/2022

Alors que l’Etat français s’engage dans l’exploration scientifique des fonds marins, le professeur François Lallier, de Sorbonne Université, insiste sur la régulation nécessaire de l’exploitation des ressources minérales océaniques. 

L’Etat a lancé en mars 2022 le Comité Interministériel de la Mer dans le cadre du grand plan d’investissement France 2030. Ce Comité va piloter les premières missions d’exploration des grands fonds marins, qui devront se traduire par le recueil de données géologiques, océanographiques, écologiques et biologiques orientées par l’expertise des scientifiques.

François Lallier, professeur de biologie à Sorbonne Université, rattaché à la station marine de Roscoff, fait partie des six personnalités qualifiées choisies par le gouvernement pour rejoindre le Comité. Il nous apporte un éclairage sur les conditions d’exploitation des ressources des fonds marins.

Des ressources inestimées, mais difficilement estimables

« L’océan, qui occupe 70% de la surface de la Terre, contient entre 50 et 80% des espèces vivantes de la planète ; il regorge également de ressources naturelles et produit la moitié de l’oxygène que nous respirons ». Alors que les ressources non renouvelables que constituent les minéraux, les métaux ou encore les hydrocarbures sont en voie d’épuisement, il y a un enjeu fort à étudier les possibilités d’exploitation durable de l’océan tout en en protégeant sa biodiversité. « Nous savons  que l’océan regorge de ressources minières, zinc, cuivre, manganèse, cobalt… » indique le biologiste. Selon un rapport du CNRS de 2014, les ressources en manganèse sont ainsi estimées à 6 milliards de tonnes, soit dix fois plus que les réserves terrestres.

Si les ressources marines sont de sérieuses alternatives, leur exploitation représente un défi tout à la fois scientifique, technologique et industriel. Car les grands fonds océaniques sont difficiles d’accès.  La profondeur moyenne des océans est supérieure à 3 500 mètres, profondeur à laquelle la pression est 350 fois supérieure à la pression atmosphérique, la température y est de quelques degrés seulement et l’obscurité totale. « Les ressources se situent pour beaucoup dans des plaines abyssales difficiles à atteindre et leur exploitation sera nécessairement très coûteuse » rappelle François Lallier.

L’océan impacté par l’activité humaine

 « Des lobbys miniers sont déjà prépositionnés, des industriels sont prêts, du point de  vue technologique, à forer, creuser, aspirer mais avec l’idée de rejeter en surface les déchets non exploitables ». Les espèces végétales et animales qui se sont adaptées au milieu abyssal pourraient être profondément perturbées par le bruit, la lumière ou encore les variations de température que génèreraient les systèmes d’exploitation.

Il est donc impératif d’innover dans les techniques de production, mais également de réguler l’exploitation des ressources marines. Si certaines portions de l’océan appartiennent aux Zones Economiques Exclusives des Etats (ZEE) qui ont le droit d’en autoriser l’exploitation, une majorité des ressources se situe probablement en dehors de ces Zones. L’ONU a mis en place une « Autorité Internationale des Fonds Marins » et tente aujourd’hui d’instaurer une juridiction internationale qui permettrait d’envisager un partage équitable de l’exploitation des ressources minérales de l’océan. Cela fait partie des enjeux de développement durable récemment partagés lors du premier « One Ocean Summit » qui a réuni à Brest, en février dernier, une quarantaine de pays.


La Marine nationale s’engage dans l’étude du vivant- 13/05/2022

La mission Bougainville, lancée par l’Institut de l’Océan et la Marine nationale, va expérimenter d’ici fin 2022, dans les eaux du Pacifique, un instrument de mesure du plancton.

« La science ne fait que débuter dans l’étude de la complexité du vivant ! ». Colomban de Vargas, chercheur au CNRS et spécialiste passionné du plancton, ne cache pas son enthousiasme devant ce champ des possibles qu’offrent les espèces aquatiques de l’océan.

Ce scientifique au nom d’aventurier, lauréat de l’Académie des sciences, a fait de l’océan son jardin d’éden. Il pilote le programme international Planète Plancton et participe au lancement de la mission Bougainville, qui associe pour la première fois la Marine Française et l’Institut de l’Océan de l’Alliance Sorbonne Université. L’objectif est d’améliorer la connaissance du plancton, cet ensemble de végétaux et d’animaux aquatiques qui dérivent au gré des courants marins et qui produit la moitié de l’oxygène que l’on respire.

« Le plancton a oxygéné la planète avant que les plantes n’apparaissent, sans lui nous ne serions pas là, tout a démarré dans l’océan il y a 4 milliards d’années ». Il y a, dans chaque litre d’eau de mer, entre 10 et 100 milliards d’organismes microscopiques, virus, bactéries, animaux, qui forme le plus grand réseau de vivants sur la planète. Ces organismes jouent un rôle majeur dans le fragile équilibre de la planète terre, en particulier sur le climat.

Il y a urgence à mieux comprendre l’adaptation du vivant

Colomban de Vargas insiste : « il y a urgence à mieux connaître la biodiversité, les fonctions et les mécanismes écologiques et évolutifs de cette majorité vivante qui régule le climat et la physiologie du système Terre ; il s’agit notamment de comprendre la résilience et l’adaptation du vivant dans son ensemble face aux changements brutaux infligés à la biosphère par les sociétés humaines depuis la révolution industrielle »

Etudier à grande échelle, et dans la durée, le microbiome océanique est un défi majeur ! Pour y parvenir, les navires et équipements scientifiques ne sont pas assez nombreux. Le programme Planète Plancton vise à développer tout un réseau de partenaires internationaux qui contribueront à la collecte et à l’analyse du plancton, des pêcheurs aux marins amateurs en passant par les cargos marchands.

Le « PlanktoScope », un instrument de mesure accessible à tous

Encore faut-il doter ces futurs partenaires d’un instrument de collecte et d’analyse du plancton facile à utiliser. L’équipe de Colomban de Vargas a mis au point un dispositif de filtration qui se branche directement sur le collecteur d’eau d’un bateau ainsi qu’un microscope miniaturisé, le « PlanktoScope », qui peut générer des milliers d’images de micro-organismes à partir d’un échantillon de plancton. Les images pourront être transmises directement aux chercheurs et contribueront à enrichir une grande base de données publique ouverte aux chercheurs et aux citoyens.

La mission Bougainville va permettre d’expérimenter cet instrument de mesure dans le Pacifique, zone marine encore peu couverte par les collectes. Trois corvettes s’apprêtent à quitter le port de Brest en direction de la Polynésie française. Des volontaires aspirants seront engagés comme officiers en biodiversité pour tester le « PlanktoScope ». Il ne faut plus tarder à mieux comprendre l’écosystème marin, alors que la biodiversité terrestre est à bout de souffle. 


L’étoile de mer, un animal marin plein de ressources- 12/05/2022

Guillaume Massé, chercheur au CNRS, et basé à la station marine de Concarneau, nous parle de ses recherches sur l’étoile de mer en réponse aux besoins de l’écosystème économique local.

« La biodiversité marine est un réservoir insoupçonné d’éco-innovations » s’enthousiasme Guillaume Massé, chercheur au CNRS, longtemps spécialisé dans l’étude du climat en milieu polaire et arrivé il y a 3 ans à la station marine de Concarneau.

Attiré depuis toujours par l’océan, ce scientifique qui aurait tout aussi bien pu devenir pêcheur, s’intéresse aujourd’hui à l’étoile de mer. Cet animal marin fascine autant qu’il inquiète : souvent considéré comme une espèce invasive, il est friand de moules, d’huitres et d’autres coquillages, et prolifère sur les côtes bretonnes. Guillaume Massé considère pourtant que l’étoile de mer peut devenir « un trésor », et qu’elle regorge de ressources encore inexploitées : elle a, par exemple, des propriétés anti-inflammatoires, elle favorise la germination des plantes ou encore elle peut composer un amendement non négligeable pour le sol.

Le biomimétisme au service de l’innovation technologique

Le chercheur parle du biomimétisme, selon lui une formidable opportunité d’innover de façon responsable ; le biomimétisme s’inspire du vivant pour tirer parti des solutions et inventions produites par la nature, à travers des systèmes productifs et technologiques performants.  Il cite quelques exemples : le ver annélide permet de fabriquer un adhésif puissant, utilisé dans la construction de digues contre les tsunamis au Japon ; des ingénieurs se sont inspirés des tentacules du poulpe pour fabriquer un prototype de bras robotique utilisé en chirurgie ; le frustule, coque de verre fabriquée à température ambiante par certaines microalgues, inspire les industriels pour économiser de l’énergie…. Les possibilités sont immenses.

L’étoile de mer, un animal à haute valeur ajoutée

Pour en revenir à l’étoile de mer, elle pose un vrai problème économique aux pêcheurs qui, lorsqu’elle prolifère de façon trop massive, organisent des campagnes de prélèvements. Mais ça n’est pas si simple. Les usines d’équarrissage rechignent à traiter l’étoile de mer du fait de son squelette calcaire qui affecterait le bon fonctionnement des machines. La voie du compostage a aussi été abandonnée, la dégradation des étoiles dégageant une odeur particulièrement nauséabonde.

 « Dans les déchets on peut récupérer des ossicules qui créent du carbonate de calcium, pouvant servir de support à une greffe osseuse, ou encore utilisé dans le dentifrice ou certains maquillages ». Ca n’est qu’une illustration parmi tant d’autres applications potentielles. « Des industriels travaillent sur ces applications, mais ça reste confidentiel pour le moment », indique Guillaume Massé, évoquant les secteurs de la cosmétique et de l’agriculture. Une entreprise canadienne commercialise déjà une formule destinée à la fabrication de crèmes antirides en utilisant le grand pouvoir régénérateur des étoiles de mer.

Les recherches de Guillaume Massé s’inscrivent, elles, dans le cadre d’un programme de valorisation de l’animal marin, financé par la Région et l’Europe. L’Etat français a quant à lui inscrit le biomimétisme dans la Stratégie Nationale de transition écologique vers un développement durable.


Les supers pouvoirs de la seiche- 12/05/2022

Laure Bonnaud-Ponticelli est professeure au Museum d’Histoire Naturelle et spécialiste des Céphalopodes- seiche, calmar et pieuvre. Ses projets de recherche sont orientés sur l’étude du développement de la seiche.

« Les céphalopodes ont un système nerveux magnifique ; ce sont les seuls animaux non vertébrés à posséder une aussi grande diversité de neurotransmetteurs telles que la dopamine ou l’adrénaline ; comment l’utilisent-ils et comment se transmet l’information ? »  se demande cette chercheuse à la voix vibrante et passionnée.

La capacité de camouflage de la seiche

 Les travaux de Laure Bonnaud Ponticelli portent plus spécifiquement sur la compréhension du système nerveux de la seiche et son développement. Les seiches sont connues pour leurs comportements étonnants qui sont essentiellement guidés « visuellement ». Elles ont des yeux performants qui leur permettent de détecter la lumière, même dans l’œuf, et d’adapter leurs réactions. Pour se rendre invisibles au regard de leurs prédateurs ou encore mieux attraper leurs proies, elles sont aussi capables de modifier la couleur de leur peau en quelques millisecondes.

La biologiste essaie de comprendre comment se met en place l’apprentissage ou la mémoire chez ces créatures fascinantes. « Une fois que vous avez regardé une seiche dans les yeux, vous ne pouvez plus vous défaire de cet échange de regard ! » dit-elle, non dénuée d’humour.

« Les céphalopodes, il y en a partout dans le monde, ils ont un rôle essentiel dans la chaine alimentaire. Ils subissent aujourd’hui les pressions générées par l’humain- la pêche intensive, le réchauffement et l’acidification de l’océan- ce qui perturbe plus largement tout l’écosystème marin ».  Il est donc fondamental d’étudier les hypothèses d’évolution des céphalopodes, et au-delà la biodiversité marine, dans un environnement mondial qui se dégrade.

Un organisme inspirant

Avec son équipe, Laure Bonnaud Ponticelli essaie de décrypter les voies moléculaires qui interviennent dans la vision de la seiche, et plus globalement dans sa photosensibilité. L’extrême adaptabilité de la seiche s’explique par des millions de cellules pigmentées- les chromatophores- qui se dilatent ou se contractent sous le contrôle direct de neurones moteurs, et dont la couleur évolue au gré de leur développement. « La seiche n’a qu’une saison de reproduction de 2 à 3 mois avant de mourir, son cycle de vie est très court et elle est hypersensible : dans quelle mesure la lumière peut avoir de l’importance dans ce cycle de vie, c’est ce que nous essayons de savoir ».

La scientifique évoque l’importance du biomimétisme dans ses recherches, ce processus d’innovation qui s’inspire du vivant pour développer des techniques de production appliquées dans plusieurs domaines industriels. On pourrait demain développer la qualité des écrans plasmas couleur, inventer des membranes auto-réactives à la lumière pour équiper les drones, etc.. Par ailleurs, les résultats obtenus sur la seiche permettront d’explorer dans une approche comparative l’évolution, la diversité et le rôle des gènes impliqués dans la mise en place d’un organisme, dans le milieu aquatique marin.